Archives de Catégorie: Philosophie

Histoire et destin politique du Québec

Détail d’une estampe illustrant la bataille de Saint-Eustache du 14 décembre 1837, lors de la rébellion des Patriotes.

Le développement d’une conscience nationale par l’étude de l’histoire du Québec

Le programme ministériel de 2017 a permis de remettre de l’avant, et avec objectivité, la trame nationale.

Thomas Paradis et Félix Bouvier, Le Devoir 10 / 10 / 2025

De récents sondages ont témoigné d’une montée du souverainisme chez les jeunes, notamment celui de CROP publié en août dernier, qui montre même qu’une majorité des 18 à 34 ans seraient en faveur de cette idée. Comme plusieurs, nous nous sommes questionnés sur les causes de la montée de l’idée d’indépendance chez cette tranche d’âge qui, depuis les deux dernières décennies, était de manière générale assez défavorable à cette idée. C’est en s’informant au contact d’entrevues portant sur le sujet, de reportages comme celui de Mounir Kaddouri, chez Urbania, et de balados comme Génération OUI, qu’une tangente s’est dessinée. Beaucoup de jeunes y affirmaient être devenus souverainistes au contact de l’histoire du Québec, mais surtout des événements majeurs de sa trame politique, tels que la Conquête, les rébellions des Patriotes, ou encore l’étude des référendums.

En lien avec ce rapport à l’histoire du Québec, nous avons remarqué que, dans le reportage Les nouveaux souverainistes de Mounir Kaddouri, les jeunes qui s’identifiaient à l’idée d’indépendance étaient surtout de très jeunes adultes, soit entre 18 et 22 ans. Cette tranche d’âge correspond bien à celle qui a suivi le programme Histoire du Québec et du Canada de 2017, qui introduit davantage l’étude de la trame nationale et des événements marquants de notre histoire politique. Selon nous, il y a un lien à faire entre les deux.

Le retour d’une conscience nationale

À notre avis, cette montée du souverainisme serait une conséquence du développement d’une conscience nationale, qui se ferait au contact de la trame nationale et des divisions vécues dans l’histoire du Québec et du Canada. En prenant acte des moments et des dynamiques qui ont forgé la société québécoise dans laquelle ils évoluent, les élèves seraient davantage portés à s’identifier au Québec et à vouloir se prononcer sur son avenir. La question nationale traversant notre histoire depuis au moins la Conquête de 1760, il est normal qu’à son tour cette génération veuille en débattre.

Ainsi, si l’apprentissage de l’histoire du Québec permet de développer une conscience nationale, pourquoi les jeunes semblaient-ils délaisser la question nationale il y a quelques années à peine ? Selon nous, l’une des pistes se trouverait dans le changement de programme d’histoire en 2017, cela précédé d’un grand débat (2006-2017) au Québec sur cette question. À ce sujet, une étude récente que nous avons menée a prouvé que les manuels d’histoire issus du programme de 2006-2007 avaient réduit ou même mis de côté plusieurs des temps forts de l’histoire politique canadienne et québécoise, comme la Conquête, les rébellions des Patriotes ou l’étude des référendums, pour ne nommer que ceux-là.

De plus, à maintes reprises, les atrocités subies, par exemple lors de la guerre de la Conquête (la Défaite) des années 1754-1760 par le peuple canadien, devenu ensuite canadien-français (1840-1960), puis québécois, n’étaient pour ainsi dire pas abordées. Il en va de même pour les référendums sur l’indépendance. Les grands acteurs, autant du côté souverainiste que fédéraliste, n’étaient souvent que nommés, les arguments défendus par les deux camps étaient pratiquement absents et certains manuels allaient même jusqu’à délaisser complètement l’étude de ces deux moments majeurs de notre histoire politique contemporaine. On peut donc affirmer que les manuels ne permettaient pas à l’élève de saisir l’essence de ces événements, ainsi que leur importance historique, voire actuelle par ses conséquences séculaires.

C’est toutefois la mise en contact des élèves avec les événements dans leur intégralité qui leur permet de s’identifier au parcours de la nation, à travers les échecs et les difficultés qu’elle a vécus, mais aussi ses nombreux beaux succès, le Québec faisant l’envie, sans doute, de bien des nations minoritaires dans le monde. C’est d’ailleurs Gérard Bouchard qui, dans son ouvrage Pour l’histoire nationale. Valeur, nation, mythes fondateurs (Boréal), publié en 2023, recommandait l’enseignement de l’histoire nationale à travers des valeurs et des principes universels tels que la liberté, l’égalité, la démocratie et la justice sociale afin de faire le pont entre les expériences individuelles de l’élève (peu importe son parcours, son milieu familial et ses origines) et les expériences vécues au fil du passé national.

Le programme ministériel d’Histoire du Québec et du Canada de 2017 et les manuels qui en découlent remettent de l’avant avec objectivité, pensons-nous, la trame nationale et les difficultés vécues par la nation en utilisant notamment un vocabulaire plus connoté et en abordant par exemple le non-respect des libertés, les inégalités et les ruptures de démocratie à travers notre histoire, le plus souvent face au conquérant anglo-britannique. Le tout pousserait donc l’élève à développer un sentiment d’appartenance envers le Québec, et ce, peu importe son origine.

L’enseignement de l’histoire pourrait donc permettre aux jeunes de développer une conscience nationale, qui les pousserait à se positionner de façon beaucoup mieux informée sur la question nationale qu’entre 2007 et 2017, avec le programme Histoire et éducation à la citoyenneté au deuxième cycle du secondaire. Si l’on ajoute à cela un contexte politique dans lequel un parti souverainiste proposant un référendum dans un premier mandat mène actuellement dans les sondages, le climat devient encore plus propice au développement d’un intérêt pour la question de la place du Québec au sein du Canada, ou à l’extérieur de celui-ci.

Poster un commentaire

Classé dans Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Philosophie, Politique

La bibliothèque d’Umberto Eco

Poster un commentaire

Classé dans Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Lettres, Philosophie, Politique, Religion, Science

15 février 1939

Montréal, 15 février 1839, pendaison des Patriotes. «Je me souviens».

«Je meurs sans remords. Je ne désirais que le
bien de mon pays dans l’insurrection, et son
indépendance ; mes vues et mes actions étaient
sincères, n’ont été entachées d’aucuns crimes qui
déshonorent l’humanité et qui ne sont que trop
communs dans l’effervescence des passions
déchaînées. Depuis dix-sept à dix-huit ans, j’ai
pris une part active dans presque toutes les
mesures populaires, et toujours avec conviction et
sincérité. Mes efforts ont été pour l’indépendance
de mes compatriotes.»

Chevalier de Lorimier, Dernières lettres d’un
condamné

Poster un commentaire

Classé dans Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Philosophie, Politique

De la relativité

Poster un commentaire

18 décembre 2024 · 11:35

« Je vous serre la main, poète»

Poster un commentaire

17 décembre 2024 · 4:39

La voix de Freud

Freud Museum London

Poster un commentaire

Classé dans Art, Culture et société, Féminisme, Histoire, Histoire et civilisation, Lettres, Philosophie, Politique, Religion, Science

L’exécution du Che

Le 9 octobre 1967 Ernesto Che Guevara fut exécuté à La Higuera par l’armée bolivienne.

Le corps du Che

Poster un commentaire

Classé dans Culture et société, Histoire, Philosophie, Photos, Politique

Grande et petite histoire

Grande et petite histoire chez Thomas Chapais

Karim Chahine, Le Devoir, 1/10/24

Le 24 novembre 1916, Thomas Chapais inaugure une série de cours publics donnés à l’Université Laval sur l’histoire du Canada devant une salle comble, où se trouvent des personnages d’envergure. Chapais commence son cours avec le dénouement de la guerre de la Conquête, à partir de ce qu’il nomme « la dernière heure de la Nouvelle-France », et il le conclut avec l’avènement de la confédération en 1867. Cette dernière date représente, selon lui, l’apogée de l’autonomie politique et de la bonne entente entre les deux peuples fondateurs.

En publiant son Cours d’histoire du Canada sous forme de livre, Chapais se tourne résolument vers ce qu’il nomme la grande histoire. Bien conscient des questions formelles liées à l’écriture de l’histoire dans une synthèse, il spécifie que le cours, contrairement à̀ un ouvrage exclusivement produit pour la lecture, « doit viser davantage au tableau d’ensemble et à l’accentuation plus vive des faits, des moments caractéristiques ».

De façon analogue, la notion de « vue d’ensemble » revient dans les quatre avant-propos qui ponctuent le Cours d’histoire du Canada, tout comme celle de « grandes lignes » qu’on retrouve à plusieurs endroits dans l’ouvrage. Ces « grandes lignes » marquent un changement dans la focale de l’historien.

C’est au moyen de ces notions que Chapais analyse le travail de Bossuet et son fameux Discours sur l’histoire universelle qu’il range parmi les synthèses : « Bossuet est arrivé au terme de la course qu’il s’est assignée à travers les siècles et les évolutions de l’humanité. Et se recueillant un moment, [il jette] son regard d’aigle sur ce vaste champ de fluctuations et de transformations des États et des peuples… »

Narration

Thomas Chapais associe « la voix narrative à un oeil, à une position physique », ici au regard d’un aigle, analogie qui n’est pas sans rappeler le surnom d’« Aigle de Meaux » de Bossuet. Cette position en hauteur se rapporte à la conception que se fait Chapais de la grande histoire et de son cadre synthétique.

La notion de « grandes lignes » et l’idée d’un fil conducteur à refaire nécessitent une perspective nécessairement plus reculée et une focale moins serrée. Cela est encore plus vrai lorsqu’il est question d’un ouvrage de huit tomes couvrant plus de deux siècles d’histoire.

C’est l’imagination qui met en oeuvre, qui rassemble et dispose, qui colore et anime, qui insuffle une vie nouvelle aux personnages couchés dans le tombeau.

Ce point de vue synthétique se distingue de celui adopté pour la monographie, qui aborde généralement un élément précis ou, du moins, un espace temporel ou géographique plus restreint. Pour traiter de l’évolution politique des Canadiens français depuis la Conquête à travers une longue série de leçons, Chapais spécifie que, « de manière à ne pas trop fatiguer l’attention d’un auditoire bienveillant, il convenait de procéder surtout par vues d’ensemble en même temps que par étapes nettement indiquées ».

Le découpage des différentes parties de la synthèse en vient donc à acquérir une importance didactique qui permet notamment de conserver l’attention de l’auditoire et du lecteur. L’approche qui mise sur ces tableaux peut être qualifiée de « poétique », notamment lorsque l’on s’attarde aux adjectifs qui les accompagnent : « triste tableau », « tableau d’un sombre coloris », « tableau d’une émouvante et terrifiante beauté », « sombre tableau ».

Photo: BAnQ (1946)Historien et journaliste, Thomas Chapais a également mené une longue carrière en tant qu’homme politique.

Émotion

Les mots utilisés renvoient à une volonté de créer une émotion à travers une impression rendue possible par la double vocation que Chapais prête l’histoire, à la fois science et art. Il va même jusqu’à affirmer que l’imagination est une qualité nécessaire de l’« historien véritable », car la science et l’érudition ne permettent qu’un travail de recension des faits et des dates.

« C’est l’imagination, écrit Chapais, qui met en oeuvre, qui rassemble et dispose, qui colore et anime, qui insuffle une vie nouvelle aux personnages couchés dans le tombeau, et qui redonne au passé la figure et l’accent qu’il avait eus un jour avant d’être obscurci par les ombres du temps. »

Malgré tout, à travers cette détermination à créer quelque chose de beau sans sombrer dans le fabuleux, une tension est perceptible entre la volonté d’accentuer les faits et celle de rendre aux choses leur juste proportion. L’accentuation peut-elle demeurer méthodologiquement contrôlée grâce à la saine critique historique ? C’est du moins la prétention de Chapais qui s’attribue « le mérite d’un effort constant et énergétique pour atteindre l’exactitude et respecter la justice » dans le but d’éviter à la fois l’exagération et l’atténuation.

En faisant tendre la finalité de l’accentuation vers le respect d’une certaine idée de la justice, Chapais prolonge cette proximité précédemment évoquée entre la posture du juge et celle de l’historien. Cette posture impartiale, mais non pas impassible, donne donc, comme nous le disions, une certaine latitude à l’historien, maître de sa plume.

Revue d’histoire de l’Amérique française

1 commentaire

Classé dans Art, Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Lettres, Philosophie, Photos, Science

Ruine, fragment, mémoire

Poster un commentaire

28 septembre 2024 · 11:18

Le déchet, notre part maudite

Stéphane Baillargeon, Notre part maudite, Le Devoir, 9/09/24

«Interviewer un auteur et l’entendre citer Georges Bataille (1897-1962), ce n’est pas ou ce n’est plus si courant, et même assez rare en vérité. Si l’interview porte sur les vidanges et que l’auteur questionné parle d’autorité, étant lui-même vidangeur depuis deux décennies, on atteint le niveau de l’exceptionnelle exception quand surgit le nom de l’écrivain philosophe français.

« Le plus révélateur dans le déchet, c’est l’invisibilisation, dit Simon Paré-Poupart, qui vient de faire paraître Ordures ! Journal d’un vidangeur, chez Lux. Notre société surconsommatrice ne veut pas voir ce qu’elle produit et finit par jeter. Elle enfouit en dehors des villes. Elle envoie le recyclage à l’autre bout de la planète. Elle met le travailleur qui le cache à la marge. Georges Bataille parlait de “la part maudite”. Le déchet est notre part maudite. Celle qu’on ne veut pas voir, celle qui nous confronte à ce qu’on fait, à ce qu’on est. » »

Poster un commentaire

Classé dans Art, Culture et société, Histoire, Philosophie, Politique, Science

Homo Sapiens en Amérique

L’histoire du peuplement de l’Amérique revue à l’aune de l’interdisciplinarité

En croisant des données issues de la paléoclimatologie et de l’archéologie, le projet SESAME entend documenter les relations entre les premières populations humaines du continent américain et leur environnement.

La plupart des préhistoriens estiment que l’arrivée des premiers hommes en Amérique remonte à la fin de la dernière période glaciaire, soit aux alentours de 15 000 ans avant notre ère. Originaires de Sibérie ou d’Asie, ces groupes d’individus se seraient tout d’abord installés au niveau de l’actuel détroit de Béring, alors situé au-dessus du niveau de la mer. Homo sapiens aurait ensuite pénétré en Amérique du Nord par l’Alaska à la faveur d’un corridor ménagé dans la calotte polaire par la hausse progressive des températures. Cette hypothèse qui s’inscrit dans une chronologie courte dite « Clovis-first »1 est principalement étayée par la mise au jour de pointes de projectiles en pierre et celle de rares squelettes d’Homo sapiens vieux de 13 000 ans sur des sites archéologiques localisés aux États-Unis. Ce modèle de peuplement est toutefois remis en cause par une série de découvertes réalisées depuis le début du XXIe siècle. « De plus en plus de preuves matérielles suggérant une présence humaine précoce dans les régions australes du continent américain vont à l’encontre de la doxa “Clovis-first” », confirme Éric Boëda, spécialiste de l’anthropologie des techniques préhistoriques au sein de l’unité Archéologies et sciences de l’Antiquité (ArScAn)2. Le projet SESAME3 qu’il coordonne depuis 2021 avec Christine Hatté, géochimiste au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE)4, s’inscrit dans le postulat scientifique selon lequel le peuplement de l’Amérique par l’homme aurait débuté il y a plus de 40 000 ans. Cette colonisation précoce aurait pu se faire depuis l’Alaska, où un accès libre de glace vers l’Amérique du Nord a perduré pendant une bonne partie du Pléistocène supérieur (-126 000 ans à – 11 700 ans) ou en longeant la côte ouest-américaine à bord de petites embarcations.

La suite: CNRS LEJOURNAL

Poster un commentaire

Classé dans Art, Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Philosophie, Religion, Science

Les nombreux combats de Marie-Vic

Revisiter Marie-Victorin, botaniste et intellectuel aux nombreux combats

Yves Gingras, Le Devoir, 15/07/24

Il y a 80 ans, le 15 juillet 1944, l’un des plus grands intellectuels québécois du XXe siècle décédait précocement, à 59 ans, des suites d’un malheureux accident d’automobile. Le frère Marie-Victorin (né Conrad Kirouac le 3 avril 1885) revenait alors avec ses collaborateurs d’une herborisation à Black Lake après un léger détour vers Saint-Norbert-d’Arthabaska, lieu de ses étés d’enfance qui lui ont inspiré « La croix de Saint-Norbert » et « Sur le renchaussage » dans ses Récits laurentiens, parus en 1920.

Bien que le réflexe habituel soit de ramener l’oeuvre du frère des Écoles chrétiennes au Jardin botanique de Montréal et à la Flore laurentienne, cette image, qui le réduit à un simple botaniste, fait oublier sa stature de véritable intellectuel et les nombreux combats qu’il a eu le courage de mener avec l’appui constant des artisans du Devoir. C’est en effet toujours dans les pages du quotidien d’Henri Bourassa qu’il a fait connaître au public ses opinions et ses projets pour le développement du Québec moderne. Le jeune Marie-Victorin suivait d’ailleurs l’évolution du nouveau journal et, le 22 janvier 1911, il confiait à son journal (Mon miroir) : « Le Devoir a paru ! C’est le grand événement de la saison. »

Dans l’édition du 10 septembre 1915, Marie-Victorin, alors professeur au collège de Longueuil, commence sa collaboration avec les animateurs du journal nationaliste et publie, pendant un an, des « billets du soir » sous le pseudonyme « M. SonPays », dont le premier (« Not’ langue ») donne le ton et dénonce la politique d’assimilation des francophones ontariens incarnée dans le célèbre « Règlement 17 » interdisant l’enseignement du français dans les écoles primaires.

Une fois qu’il est devenu professeur de botanique à la toute nouvelle Université de Montréal, en 1920, sa parole publique prend du poids, et Le Devoir donne à ses sorties une grande visibilité, le plus souvent en première page. Ainsi, celle du 30 septembre 1922 porte sur deux colonnes son article « Vers la haute culture scientifique », dans lequel il rappelle qu’un « peuple vaut non seulement par son développement économique, industriel ou commercial, mais encore et surtout par son élite de penseurs et de savants, par son apport au capital scientifique de l’humanité ».

Être nous-mêmes dans un pays qui est le nôtre

Trois ans plus tard, Le Devoir publie (le 26 septembre) son texte probablement le plus virulent :« La province de Québec, pays à découvrir et à conquérir. À propos de culture scientifique et de libération économique ». Après avoir affirmé que « nos intellectuels ont pris l’habitude de passer l’été à Paris et l’hiver chez nous » et ignorent ainsi « de plus en plus le visage vrai de ce grand pays qu’est la province de Québec », il dénonce avec énergie l’exploitation des Canadiens français sur la Côte-Nord : « De grands troupeaux de nos compatriotes : hommes, femmes et enfants, poussés par la misère et l’inéluctable déterminisme des conditions économiques, sont jetés au coeur de cette forêt boréale, lointaine et inhospitalière, pour y mener une vie de paria dont nous n’avons pas l’idée. »

https://272f9136eec71e3b3e381ea9e1d920b4.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-40/html/container.html

Il ajoute qu’aucun « Canadien français — sauf les puissants du jour cultivés par les intéressés — n’a le droit de présenter la mouche au saumon dans les rivières poissonneuses de la province de Québec, ni de tirer un coup de fusil sur Anticosti, ni de tuer, où que ce soit, le gibier de mer ». Il ne reste, dit-il, « aux habitants de la Côte-Nord et de la Gaspésie qui n’ont pas le goût de chienner, le privilège de se lever à une heure du matin et d’aller en pleine mer, sous le froid de la nuit, pêcher à la ligne par soixante brasses de fond, une morue qui se dérobe souvent et qui, une fois prise et péniblement séchée, ne se vend pas toujours ».

Il conclut cette sortie radicale qui lui vaudra bien des critiques en souhaitant que « ceux qui ont à l’heure actuelle la mission de diriger les pas de notre jeune peuple et de lui donner des mots d’ordre se rendent à l’évidence de ces vérités, un peu dures peut-être, et qu’ils favorisent de toutes leurs forces la formation de l’élite scientifique dont nous avons un immense besoin ; c’est cette élite qui, en nous donnant, dans un avenir que nous voulons rapproché, la libération économique, fera de nous une véritable nation ».

Recevant en 1932 le prix Gandoger de la Société botanique de France, il profite de l’occasion pour rappeler (Le Devoir, 25 octobre) qu’il a, depuis dix ans, été à la tête de « luttes qu’il n’a pas cherchées, lutte pour l’existence, lutte pour la propreté scientifique, lutte pour nous évader, dans notre humble domaine, d’odieuses tutelles et d’un abject servilisme intellectuel ». Et il ajoute : « Parce que nous avons résolu une bonne fois d’être nous-mêmes dans un pays qui est le nôtre ; parce que nous avons résolu de ne pas accepter, sans les soupeser au préalable, des propagandistes qui n’ont rien à voir avec la France scientifique, parce que nous récusons le rôle de nègres blancs et que nous réclamons le droit de choisir nos maîtres et de déterminer nous-mêmes nos admirations ; parce que nous avons osé toutes ces choses terrifiantes, on nous a taxés de francophobie. »

Voir grand, voir loin

Après l’élection du premier gouvernement de Maurice Duplessis le 17 août 1936, Le Devoir publie les 25 et 26 septembre, toujours en première page et sur deux colonnes, un autre texte puissant de Marie-Victorin qui définit les grandes lignes d’une véritable politique scientifique : « Après la bataille, les oeuvres de paix ». Il complète ce programme quelques mois plus tard en exigeant, dans un texte-fleuve étalé sur trois jours (Le Devoir 27, 28 et 29 janvier 1937), la création d’un Institut de géologie. Le nouveau gouvernement répondra d’ailleurs positivement à toutes ses demandes, y compris celle de parachever le Jardin botanique, projet lui aussi lancé en première page du quotidien de la rue Saint-Jacques le 16 décembre 1929.

Lire Marie-Victorin permet de comprendre qu’en 1938, le journaliste Jean-Charles Harvey ait pu déplorer l’absence au Québec « d’une demi-douzaine de Marie-Victorin » qui, disait-il, transformeraient les Canadiens français « en moins de vingt ans ». On comprend aussi qu’un autre grand botaniste québécois, Jacques Rousseau, ait pu dire en 1970 que Marie-Victorin a été le père de l’université moderne au Québec.

Le général de Gaulle aurait dit à propos de la France : « certains pays ont trop d’histoire ». Ce n’est certainement pas le cas du Québec qui, au contraire, gagnerait à lire ses grands intellectuels. La pensée énergique de Marie-Victorin sur la science, la nature, la nation, la culture et les universités est à mon avis toujours d’actualité. Même ses profondes réflexions sur la sexualité et l’amour, échangées dans une correspondance unique avec son assistante et collaboratrice dévouée, Marcelle Gauvreau, peuvent encore nous inspirer, comme vient d’ailleurs de le montrer de manière magistrale le magnifique film de Lyne Charlebois, Dis-moi pourquoi ces choses sont si belles, qui a su porter à l’écran son regard personnel sur la singularité de l’amour qui a uni les deux personnages, mais aussi sa sensibilité à la beauté mystérieuse de la nature que Marie-Victorin a su fixer dans de nombreux textes « botanico-littéraires » maintenant réunis dans un ouvrage qu’il avait lui-même rêvé de publier (La Laurentie en fleur).

En somme, se rappeler périodiquement les grands personnages de notre histoire peut aussi être une occasion de les relire et même de s’en inspirer.

Poster un commentaire

Classé dans Art, Cinema, Culture et société, Féminisme, Histoire, Histoire et civilisation, Lettres, Philosophie, Politique, Religion, Science

L’inquiétante migration des archives vers le numérique

Le film: Au-delà du papier

Poster un commentaire

Classé dans Art, Chine, Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Inde, japon, Lettres, Philosophie, Politique, Religion, Science

Y a-t-il un avant le Big Bang?

Was there any before, before the Big Bang?

1 commentaire

Classé dans Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Philosophie, Religion, Science

Les scribes de l’Égypte antique

Les scribes de l’Égypte antique souffraient aussi de maladies professionnelles

Pauline Gravel, Le Devoir, 28/06/24

Les scribes de l’Égypte antique jouissaient d’un statut privilégié dans la société de l’époque en raison de leurs compétences en lecture et en écriture. Néanmoins, les tâches répétitives de leur travail contribuaient à user prématurément leur corps. L’analyse des ossements de scribes ensevelis dans la nécropole d’Abousir entre 2700 et 2180 avant Jésus-Christ a permis de mettre en évidence des dégénérescences dues à l’arthrose à différents endroits précis de leur squelette, des dégénérescences que les chercheurs qualifient de « facteurs de risque liés à leur activité professionnelle ».

Petra Brukner Havelková et ses collègues du département d’anthropologie du Musée national de Prague et de l’Institut tchèque d’égyptologie de l’Université Charles ont examiné et comparé les os des squelettes de 30 scribes et de 39 hommes de statut social inférieur.

Comme la grande majorité des traits évalués ne différaient pas entre les deux groupes, les chercheurs en ont déduit que les membres du groupe témoin avaient eu un style de vie peu éprouvant physiquement, et donc semblable à celui des scribes. « Aucun n’avait effectué un travail harassant, comme celui d’ouvrier agricole. Ils étaient vraisemblablement des membres de la famille du scribe ou des gens de la maison effectuant le ménage de celle-ci », avancent-ils.

Les scribes se distinguaient toutefois par une incidence plus élevée d’« arthrose et de changements dégénératifs » à certains endroits précis du squelette, comme la mandibule, les vertèbres cervicales, l’épaule, la main, le genou, l’os du bassin et le pied, qui découlerait, selon les auteurs, de l’activité professionnelle des scribes, qui était constituée de tâches répétitives dans une posture stationnaire.

Pour interpréter leurs observations, les chercheurs se sont basés sur des textes, des décorations murales en relief dans les tombes et des statues décrivant la façon dont travaillaient ces fonctionnaires qui se consacraient à l’écriture de documents administratifs. « Ils utilisaient un fin stylo de jonc en forme de pinceau et écrivaient sur du papyrus, des tessons de poterie ou des planches de bois. »

Pour accomplir leurs tâches, ils adoptaient principalement trois postures : la position du tailleur (assis par terre, les jambes croisées), où leur jupe leur servait de table pour écrire ; une position accroupie, avec une jambe à genou et l’autre repliée avec le talon au sol ; ainsi que la position debout. « La position choisie dépendait probablement des circonstances et de l’environnement dans lesquels le scribe menait ses activités, et on imagine que chaque individu avait tendance à revenir à la position qu’il préférait. Même si ces positions et les mouvements effectués n’étaient pas exigeants physiquement, la répétition des mêmes mouvements et la tenue de ces positions pendant de longues périodes jour après jour ont pu affecter des régions spécifiques du squelette », soutiennent les auteurs de l’étude dans un article publié jeudi dans Scientific Reports.

Le cou mis à l’épreuve

L’une des régions qui sont apparues significativement plus affectées chez les scribes que chez les témoins est la colonne vertébrale, particulièrement la section cervicale, derrière le cou. « Toutes les vertèbres cervicales présentent une dégénérescence, plus particulièrement de l’arthrose au niveau des articulations apophysaires (c’est-à-dire entre les vertèbres). La vertèbre cervicale C7 (la plus basse), qui se situe là où la courbe lordotique (concave) de la colonne cervicale se termine et où commence la cyphose (courbe convexe) de la colonne thoracique, est souvent l’une des plus altérées. Chez les scribes, elle présente une énorme atteinte d’arthrose comparativement au groupe témoin, ce qui pourrait découler d’une surcharge constante sur la colonne cervicale », soulignent les chercheurs.

Dans la position de travail typique du scribe, la tête est penchée vers l’avant et la colonne vertébrale ploie aussi pour adapter la distance entre l’oeil et l’objet qui se trouve sur une surface de travail horizontale. Dans cette « position qui est caractéristique de nombreuses professions modernes, la tête se retrouve devant le centre de gravité » et le moment de charge appliqué sur le segment entre la vertèbre cervicale C7 et sa voisine, la vertèbre dorsale D1, serait 3,6 fois plus grand que dans la position neutre. « Assis, jambes croisées, dans une telle position pendant de longues périodes a pu induire un accroissement de la dégénérescence de la colonne cervicale chez les scribes », expliquent les auteurs de l’étude.

Ces derniers ont également remarqué une très grande prévalence d’arthrose au niveau de l’articulation temporo-mandibulaire, qui relie la mâchoire inférieure au crâne. Une atteinte arthrosique à cet endroit précis découle habituellement de pathologies dentaires, comme les grincements de dents ou des habitudes alimentaires particulières. Mais sa présence chez les scribes pourrait émaner de leur habitude à mâcher l’extrémité du jonc coupé en oblique utilisé comme stylo dans le but de lui donner la forme d’un pinceau. Les scribes répétaient fréquemment cette action, car « lorsque le stylo devenait effiloché ou encrassé d’encre, ils coupaient cette extrémité devenue inutilisable et mastiquaient la section suivante ».

Épaule, pouce, genou

On a aussi noté dans le groupe des scribes une présence accrue d’arthrose dans l’épaule droite, plus précisément au niveau de la tête de l’humérus (os situé entre l’épaule et le coude) et de la clavicule. Ce qui indiquerait que l’épaule devait subir une surcharge lorsque les scribes étaient en position assise statique et que leurs bras étaient surélevés sans appui, comme lorsque l’on tape à la machine.

Le premier métacarpe du pouce de la main droite était également significativement altéré par l’arthrose, vraisemblablement en raison de la prise du stylo et des mouvements précis du pouce, dont la fréquence et la durée élevées ont pu générer des stress mécaniques à long terme.

La présence d’arthrose au niveau de l’extrémité inférieure du fémur droit, où ce dernier s’articule avec la rotule du genou — qui a probablement été induite par la répétition de flexions profondes du genou —, ainsi qu’au niveau du col du talus du pied droit (os du tarse qui s’articule avec le tibia) et une atteinte au niveau de la tubérosité ischiatique gauche (renflement situé en arrière et en bas de l’os du bassin, qui est un point d’appui en position assise) laissent penser que les scribes préféraient la position accroupie où le talon droit prend appui sur le sol et la jambe gauche est en position agenouillée ou en position assise jambe croisée, indiquent Mme Havelková et ses collègues.

Selon ces derniers, l’ensemble des régions qui étaient plus fortement affectées chez les scribes représente potentiellement des facteurs de risque liés à leur activité professionnelle. Le fait que les atteintes dans la région des membres inférieurs (fémur, col du talus et os du bassin) ne sont pas très différentes de celles du groupe témoin laisse toutefois croire que les positions adoptées par les scribes étaient communes parmi la population de l’Ancien Empire égyptien, précisent-ils.

Les chercheurs font également valoir que « l’identification des régions affectées et particulièrement leur combinaison pourraient être utiles pour distinguer les individus qui exerçaient la profession de scribe parmi les squelettes trouvés dont le titre n’aurait pas été préservé ».

1 commentaire

Classé dans Art, Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Lettres, Philosophie, Politique, Religion, Science