Pendant ce temps à Barcelone

Barcelone pendant le référendum interdit par Madrid, Jour 5

La Catalogne en état de siège

Toute la soirée d’hier, les hélicoptères de la Guardia nationale espagnole ont surveillé la ville, et nous avons peu fermé l’œil cette nuit, tout comme beaucoup de Catalan.es qui ont passé la nuit à occuper des écoles qui auraient pu faire l’objet de fermetures par la Guardia. Heureusement, cela n’a pas été le cas.

Nous sommes donc partis très tôt, à 7h, pour Gérone, magnifique ville médiévale et véritable bastion de l’indépendantisme catalan. Le voyage vers la ville se faisait en autocar, et le tout était organisé par l’Association des Maires pour l’Indépendance (AMI), dont une adorable organisatrice, Elena, nous a accompagnés jusqu’à Gérone. Carles Puigdemont, président de la Catalogne, est précisément l’ancien maire de cette ville, et auquel a succédé Marta Madrenas i Mir. Cette dernière nous a accueillis généreusement aux alentours de 8h45 devant le bureau de vote où elle devait voter. Déjà, une importante file se formait et les gens étaient enthousiastes de voter, mais inquiets devant les rumeurs de potentielles fermetures de bureaux par la Guardia. La délégation internationale est accueillie très chaleureusement par les personnes sur place, qui semblent ravis de voir des dignitaires avides d’informations et souhaitant raconter leur histoire.

Autour de 9h15, inquiétude généralisée parmi les personnes attroupées devant le bureau de vote où nous étions. On apprend que le bureau de vote voisin, à seulement quelques centaines de mètres, a été rapidement fermé par la Guardia, qui a tassé et tabassé des gens, fracturé le bras d’une dame et saisi les urnes. Aussitôt, la tension monte parmi la file, et les Catalan.es présent.es forment une ligne, avec la mairesse de la ville et les hommes devant pour protéger leur démocratie. L’inquiétude et la colère sont palpables parmi les gens ne désirant que voter. Rapidement, les images de la fermeture violente des bureaux de vote à Gérone et à Barcelone circulent sur les réseaux sociaux, et des murmures d’incompréhension circulent parmi les personnes présentes. Une dame appelle quelqu’un en pleurant. Colère et indignation.

Attente. Rapidement, quelques minutes après la fermeture des bureaux voisins, des centaines de personnes affluent vers le bureau de vote restant où nous étions, qui est rapidement devenu le plus important. À 10h15, le vote se prend toujours, sans Guardia, et les gens en file forment rapidement une longue haie d’honneur pour laisser les personnes âgées voter en premier. Un homme de 94 ans, ayant connu le franquisme, a même été parmi les premiers à voter … et il a voté oui! D’heure en heure, la file s’allonge, et toujours pas de Guardia en vue. Le vote continue de se prendre.


Sur l’heure du dîner, nous nous retrouvons dans un café à proximité du bureau de vote afin de nous sustenter. Dans l’endroit règne une atmosphère tendue, où se mêlent colère et état de choc. Plusieurs personnes viennent nous montrer les images de la brutalité policière espagnole, et certaines d’entre elles sont rivées à l’écran de télévision, sur lequel défilent des vidéos de cette violence inouïe. Sur place, il s’agit du sujet de l’heure, et tout le monde en discute, abasourdi par cette situation politique sans précédent en Espagnole depuis la mort de Franco en 1975.

Peu de temps après notre diner, nous regagnons le bureau de vote, où nous continuons d’assister, de l’intérieur et de l’extérieur, au dépouillement du vote. Il va sans dire que la force de résistance et l’organisation catalanes sont impressionnantes, véritablement extraordinaires. Par exemple, le système électronique de votation, malgré certaines attaques, contient les listes électorales, et peut ainsi permettre aux personnes qui devaient voter à d’autres bureaux fermés de pouvoir voter à notre bureau, et d’éviter qu’une même personne puisse voter plusieurs fois. Il suffisait, pour les Catalan.es, de donner leur nom enregistré dans la liste et de montrer une carte d’identité, ce après quoi leur vote était noté et déposé dans l’urne. Le vote avait lieu dans une école primaire, qui avait été transformée en un bureau de vote pour la journée. Il était si émouvant de voir tous ces gens déterminés à voter et ce, malgré la fermeture de plusieurs centaines bureaux de vote, fermetures symptomatiques d’une culture politique et juridique aux relents de franquisme.

À 14h30, alors qu’il était temps de partir afin de regagner la ville de Barcelone, le vote se prenait toujours. Des délégué.es basques, qui nous accompagnaient dans l’autocar, avaient toutefois décidé de rester sur place, afin que la délégation internationale serve de poids moral et médiatique contre de possibles interventions de la Guardia à venir. C’est donc à la fois épuisés, choqués, incrédules et enthousiastes que nous avons regagné la ville en fin d’après-midi. Sur la route, nous avons croisé plusieurs voitures de la Guardia en route vers le nord de la Catalogne, et c’est dans un état d’inquiétude que nous avons regagné Barcelone.

Après un peu de repos à l’hôtel, nous avons ensuite décidé d’assister au grand rassemblement de dévoilement des résultats du référendum, qui se tenait à 20h à la Place de la Catalogne, à Barcelone. Sur place, plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées et attendaient avec enthousiasme et joie de vivre. Les gens chantaient, dansaient, brandissaient leurs drapeaux catalans. De nombreux.ses Catalan.es applaudissaient ou huaient les interventions et discours télévisés qui étaient disponibles sur un grand écran. Y régnait une atmosphère familiale et festive, dans l’espoir d’un nouveau pays à naitre.

Autour de 22h30, les résultats du référendum sont annoncés. En vertu de la loi référendaire, les résultats officiels ne seront toutefois pas attendus avant au moins deux jours, mais les résultats dévoilés sont très positifs, et sont annoncés comme suit dans les médias catalans :

« Vots del sí: 2.020.144, el 89,29%

Vots del no: 176.566, el 7,8%.

En blanc 45.586, el 2,02%

Nuls: 20.129 vots, el 0,8%.

Vots totals: 2.262.424 »

À l’annonce des résultats, la foule se déchaine ; elle crie, applaudit, brandit drapeaux et affiches, pleure de joie, se câline, danse et fête. Des participant.es au rassemblement ouvrent des bouteilles d’alcool et aspergent leurs compatriotes. On fête en famille et entre ami.es, les casseroles retentissent des balcons. Nous ne pouvons qu’être émus devant cette manifestation de joie débordante et d’espoir en un avenir prometteur. Une atmosphère de véritable fête règne dans les rues de Barcelone. On discute joyeusement d’un futur meilleur et on rêve. C’est donc profondément inspirés par cette manifestation joyeuse et pacifique que nous avons regagné l’hôtel, profondément épuisés.

Or, si le vote catalan en faveur du Oui peut sembler prometteur, les nombreuses arrestations et fermetures de bureaux de vote viennent entacher cette journée démocratique. Le gouvernement de Rajoy, véritable honte pour la démocratie occidentale, se doit d’être fermement dénoncé, et à la fin de cette journée historique, nous attendions avec impatience les réactions de la communauté internationale. Le Premier Ministre belge, ainsi que de nombreux dignitaires britanniques, que nous saluons, ont été parmi les premiers à condamner fermement cette violence injustifiée à l’égard de gens pacifiques ne désirant que voter. Il va sans dire que cette journée, dédiée à un droit fondamental, celui de voter, ne va sans rappeler les mots du poète québécois Gérald Godin dans son poème Libertés surveillées, rédigé à la suite des évènements la Crise d’Octobre.

Quand les bulldozers d’Octobre entraient dans les maisons
à cinq heures du matin

Quand les défenseurs des Droits de l’Homme
étaient assis sur les genoux de la police
à cinq heures du matin

Quand les colombes portaient fusil en bandoulière
à cinq heures du matin

Quand on demande à la liberté de montrer ses papiers
à cinq heures du matin

il y avaient ceux qui pleuraient en silence
dans un coin de leur cellule
il y avait ceux qui se ruaient sur les barreaux
et que les gardiens traitaient de drogués
il y avait ceux qui hurlaient de peur la nuit
il y avait ceux qui jeûnaient depuis le début

Quand on fait trébucher la Justice
dans les maisons pas chauffées
à cinq heures du matin

Quand la raison d’état se met en marche
à cinq heures du matin

il y en a qui sont devenus cicatrices
à cinq heures du matin
il y en a qui sont devenus frisson
à cinq heures du matin

il y a ceux qui ont oublié
il y a ceux qui serrent encore les dents
il y a ceux qui s’en sacrent
il y a ceux qui veulent tuer

***

Virginie Simoneau-Gilbert

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Classé dans Culture et société, Histoire, Histoire et civilisation, Philosophie, Politique

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