« Il est juste que ce qui est juste soit suivi. Il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.
La justice sans la force est impuissante. La force sans la justice est tyrannique.
La justice sans force est contredite parce qu’il y a toujours des méchants. La force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force, et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste.
La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n’a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice, et a dit qu’elle était injuste, et a dit que c’était elle qui était juste.
Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. »
Il est impossible d’oublier la raucité, résultat d’innombrables coups reçus à la gorge, de la voix avec laquelle il invectivait ses adversaires ou livrait des publicités télévisées — «ça prend pas un dictionnaire pour comprendre ça» —, ni la fougue et la brutalité à la limite du fair-play qu’il déployait dans l’arène. Maurice « Mad Dog » Vachon, l’une des figures emblématiques de la lutte professionnelle non seulement au Québec mais à travers l’Amérique du Nord et le monde, a subi son dernier compte de trois tôt jeudi matin à son domicile d’Omaha, au Nebraska, où il résidait depuis la fin de sa carrière en 1986. Il s’est éteint à l’âge de 84 ans.
Alors que ceux qui l’ont connu évoquaient un homme au grand coeur qui était dans la vie de tous les jours l’exact opposé du «chien enragé» qu’il incarnait entre les câbles — un surnom qui lui avait été attribué par le promoteur Don Owen après une prestation particulièrement mouvementée en Oregon au début des années 1960 —, des réactions au décès sont venues d’un peu partout. WWE, au Temple de la renommée duquel Vachon a été intronisé en 2010, a dit qu’«il laisse un héritage inestimable», tandis que l’entraîneur-chef du Canadien de Montréal, Michel Therrien, s’est rappelé les dimanches matin où il regardait la lutte à la télévision avec son père. «Le Québec vient de perdre une icône, a-t-il commenté. On ne veut pas voir disparaître ces gens-là. Il fait partie du patrimoine québécois, c’est sûr.»
Le grand Yvon Robert
Deuxième d’une famille de 13 enfants, Maurice Vachon naît à Montréal le 14 septembre 1929. Il grandit dans le quartier Ville-Émard, ce qui l’amène à fréquenter les galas de lutte au Forum situé non loin, où il se rend applaudir les exploits de son idole, le grand Yvon Robert. Dans un documentaire signé Yves Thériault paru en 2009, il raconte que le jeune Maurice détestait l’école et préférait voyager en pensée à l’aide de sa collection de timbres-poste. Son père Ferdinand, un policier, lui aurait alors dit : «Apprends à lutter et tu vas faire le tour du monde.» Le conseil ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et il se met à la pratique du sport en tant qu’amateur, en compagnie de deux de ses frères, dès l’âge de 12 ans.
Il démontre suffisamment de talent pour obtenir une participation aux Jeux olympiques de 1948 à Londres, où il décroche la 7e place chez les poids moyens en lutte gréco-romaine ; c’est là qu’il fait la rencontre de l’Américain Verne Gagne, qu’il recroisera fréquemment durant sa carrière à la fois en tant que rival, promoteur et plus tard improbable coéquipier. Deux ans après, on retrouve Vachon aux Jeux de l’Empire (ancien nom des Jeux du Commonwealth) à Auckland, en Nouvelle-Zélande ; cette fois, il remporte la médaille d’or.
Après avoir été videur dans une boîte de nuit de Montréal, Vachon décide de se mettre à la lutte professionnelle en 1954. Les premières années sont difficiles, car la lutte montréalaise est à l’époque étroitement contrôlée par le promoteur Eddie Quinn, dont le bijou est Yvon Robert, qui ne tient pas nécessairement à partager l’affiche avec de jeunes loups du coin. Vachon est dès lors contraint de s’expatrier et il se produit un peu partout au Canada et aux États-Unis, souvent avec son frère Paul, de huit ans son cadet et qui lui acquerra le doux sobriquet de « The Butcher ». Au fil du temps, il développe une réputation de « méchant », qu’il entretiendra savamment avec son crâne rasé, sa forte barbe noire, son torse très velu et sa propension à s’adresser directement à la caméra pour interpeller ses ennemis, une façon de faire que quantité de lutteurs imiteront par la suite.
Dans les années 1960, Vachon remporte cinq fois le titre des lourds de l’American Wrestling Association dirigée par Verne Gagne. Fait cocasse : on le présente de temps à autre comme originaire de… l’Algérie, la lutte professionnelle affectionnant l’exotisme.
Rentré à Montréal en 1967, « Mad Dog » Vachon poursuit sa carrière en se joignant au groupe Lutte Grand Prix puis, dans ses dernières années, en combattant au sein de l’AWA et de la WWF. En plus de 40 années de carrière, il estime avoir livré plus de 13 000 combats, seul ou avec Paul, en Amérique du Nord, en Europe et jusqu’au Japon. Il dira avoir mené une vie de «bête de cirque ambulant».
Une tragédie
Dans les mois suivant sa retraite, une tragédie survient : renversé par une voiture alors qu’il fait du jogging, il doit être amputé d’une partie de la jambe droite. Cette mésaventure ne lui enlèvera cependant pas son sens du spectacle : en 1996, lors d’un gala de la WWF présenté à Omaha auquel il assiste depuis la première rangée des gradins, il se fait agresser et arracher sa prothèse par le lutteur Diesel, qui finira par perdre son combat en étant assommé par ladite prothèse subtilisée par son rival Shawn Michaels.
Il n’était peut-être pas le plus costaud des combattants, mais personne ne pourra soutenir que « Mad Dog » Vachon manquait de coeur au ventre. C’est sans doute Raymond Rougeau qui, dans le documentaire d’Yves Thériault, a le mieux résumé l’homme : «L’important, ce n’est pas la grosseur du chien dans la bataille, mais la grosseur de la bataille dans le chien.»
Et ému devant l’intense affection du public, il répétera jusqu’à la fin qu’il a passé sa carrière à essayer de se faire haïr, et qu’il a de toute évidence manqué son coup…