1000ème article publié sur ce blogue
Il faut se lever tôt pour assister à la manif du siècle, lorsqu’on vient de province. De Metz, le covoiturage jusqu’à Paris prend environ 3 heures. Trois silencieuses heures dans une voiture presque pleine de gens qui n’en ont rien à foutre… Ils vont en Argentine; des Luxembourgeois radins qui ont décidé de faire du covoiturage pour se rendre à Charles de Gaule. La voiture s’arrête à porte de Vincennes.
À la station de métro Nation, les tourniquets sont morts; ils ont été désactivés. Le métro est gratuit, un évènement extraordinaire qui ne se serait produit qu’en cas de cataclysme ou de fusillade dans les locaux d’un Hebdo. Quel drôle de sensation, passer les tourniquets sans entendre le « bip ». Ce n’est pas le fait qu’il n’y a pas de « bip » qui est drôle, c’est plutôt la liberté qu’accompagne l’absence de contrôleurs sur tout le réseau.
La ligne 9 est déjà saturée, c’est comme à l’heure de pointe. Le train souterrain ignore sans remords plusieurs stations. Parmi les victimes, se trouvent, Rue des boulets, Charonne et Voltaire…
11h40 : La Place de la République est cernée de médias de toutes sortes. Des antennes blanches sur le dessus de fourgonnettes, des caméras, des CANON et des objectifs énormes de la toute dernière technologie chassent sur la place. Des machines qui prennent des centaines de photos et qui les stockent sur une petite carte en plastique.
Cela fait changement du vieil argentique contraint à 36 poses par film et au rembobinage précautionneux de chacun d’eux. Une contrainte excitante qui permet d’avoir un rapport plus intime avec l’évènement et qui rend le partage de celui-ci plus réel. Entre l’œil du journaliste et la situation, le dispositif technique est une chute libre, c’est l’incertitude d’un discours souhaité, une action plus authentique. Un Mamiya ZE entre les mains me permet d’adopter ce rôle particulier qu’est celui du journaliste de l’époque pré numérique.
12h00 : La foule devient de plus en plus dense. Tout à coup, un africain monte sur la statue et se met à gueuler dans un drôle d’accent : « Zé Vous Zaimes !! ». Des gens marmonnent « Je vous aime ? », se demandant s’ils ont bien compris le charabia. Puis ils complètent avec un : « CHARLIE Liberté !». L’africain brandit un drapeau français et un ami le rejoint.
Ils se mettent doucement à crier : « Libérez les cités ! ». De vieilles dames passent par-là : « Ha ! Ça y est ! Le débordement commence ! »
12h30 : La statue est maintenant noire de monde et on y a accroché un grand : « Je pense donc je suis ».
Un peu plus loin, là où les branches du trajet se séparent, le silence est total. Rue du Faubourg du Temple et rue Voltaire se remplissent d’un foule dense et silencieuse. Tous sont venus exprimer leur mécontentement, mais cette fois, avec silence et respect.
13h15 : Il n’y a plus moyen de bouger, ils ont bloqués la rue Voltaire à l’attente des chefs d’états. Nous sommes tellement nombreux que même sur une surface immense, nous sommes comme des sardines. Une dame prise dans la foule : « Regarder ma pancarte, je n’aurais jamais pensé faire ce genre de chose, je ne suis qu’une mère de famille… » Plus moyen de rebrousser chemin; La manif du siècle a commencée…
À gauche, un journaliste prépare son discours
Le jeune africain et son acolyte
Les jeunes prennent d’assaut la statue tandis que les gens mariés brandissent leur journal
Deux jeunes dames et leurs dessins
Il gesticule en brandissant son drapeau de la république
Une petite rue s’inonde graduellement de la foule silencieuse
Certains s’extirpent de la foule pour observer le spectacle
Un nuage de gendarmes s’impose
Ils marchent en silence avec la foule
Caroline Douville