Génération Caryotype XY Aujourd’hui, Z Demain?

gender-symboles

Commençons par une remarque visant à balayer toute idée préconçue. Bien que le contraire ne m’eût posé aucun problème, je suis à l’aise avec mon identité sexuelle. Je suis biologiquement une fille et me sent comme telle. Il ne sera donc pas question ici d’expériences vécues lorsque j’aborderai la lutte contre la nécessité absolue des frontières de genres, mais plutôt d’une réflexion générale sur la société et les observations que j’en ai faites. Il est cependant vrai qu’en tant que personne affiliée à un genre, je suis confrontée au quotidien à une série de considérations, de critères, de règles de conduite que je contribue moi-même à nourrir et à perpétuer. Les filles sont comme ci, les garçons comme ça, ils ont tel et tel goûts, habitudes, façons de penser, réflexes, devoirs, «rôles», etc. Par exemple, je me suis déjà fait reprocher d’avoir sifflé un air parce que ce n’était pas convenable pour une fille. Les garçons aussi ont leur lot de règles, dont la plus évidente : pas le droit de pleurer ou de montrer ses sentiments.

Il y a donc une claire définition de chacun des sexes, qui plus est une forte opposition. En fait, c’est une véritable vision radicale, presque manichéenne qui existe entre les sexes féminin et masculin. Autrement, chaque caractéristique «divergente», chaque comportement qui ne correspond pas à l’archétype, s’accumule pour donner le diagnostic non-officiel, mais oh combien lourd de jugement, de «garçon manqué» ou «fille manquée», comme si on parlait là d’une erreur de la nature. Il y a quelque chose de profondément sécurisant et de rassurant dans le fait de dresser des frontières. On fait de même pour le Bien et le Mal, le sacrée et le profane, l’innocent et le coupable, l’opposant et l’adjuvant, le malade mental et le sain d’esprit, etc. Les zones grises ne plaisent pas, elles exigent une réflexion plus profonde et la possibilité d’être dans l’erreur. En psychologie, c’est l’attitude que l’on appelle l’influence des schémas cognitifs. Il y a d’abord la première pensée qui nous vient en tête, et qui est nécessaire à la survie. Il faut pouvoir agir presque instinctivement dans des situations qui nécessitent une réaction rapide, déterminer si une chose représente une menace ou non et l’attitude à adopter. Cependant, il est néfaste de s’en tenir à cette première réaction. Qu’y a-t-il dans les genres qui menace la vie de toute façon? Peut-on mourir car une personne ne se considère pas uniquement comme un homme ou une femme? Car oui, cela existe, et de plus en plus, car les barrières se perméabilisent, deviennent plus souples et disparaissent au fil des générations. Il n’y a qu’à voir l’émergence de personnalités comme Miley Cyrus pour s’en apercevoir. Cependant, on peut se demander si c’est vraiment par une plus grande acceptation, ou simplement par peur de se voir accuser de discrimination. Évidemment, au grand public, les tabous disparaissent, mais dans les foyers et d’autant plus sur les réseaux sociaux, les personnes qui ne s’identifient pas à un genre, tout comme le cas plus général des androgynes demeurent les victimes d’une répulsion et d’une peur acquises.

Malgré tout, on parle ici principalement de l’Occident, et encore en particulier de la période correspondant au règne du christianisme. Il y a dans l’idée de cette religion non seulement la nécessité de séparer les sexes pour pouvoir proclamer la supériorité de l’homme sur la femme, mais aussi de garantir la procréation permettant de multiplier le nombre de fidèles ainsi que l’éducation des enfants suivant un schéma défini, où les rôles sont précis. Ailleurs dans le monde et à d’autres époques, la distinction n’est pas encore faite ou ne revêt pas la même importance. Par exemple, il existe dans la culture samoane, selon une recherche menée par Douglas VanderLaan, professeur et spécialiste en anthropologie et en psychologie, quatre genres reconnus. En plus des catégories habituelles de femme et d’homme, on retrouve également les «fa’afafine[s]» et les «fa’atama[s]», dont la nomination tient compte du sexe d’origine comme de l’identité de la personne[1]. De plus, c’est un atout chez les chamans de réunir dans leur personne les deux entités, car cela leur permet de connecter avec tout le monde, et ils sont donc reconnus pour cela bien que classés dans le domaine de la spiritualité à la fois fascinante et inquiétante.

La disparition des barrières de genres pose néanmoins la question de l’éducation des enfants, auxquels il faut dorénavant inculquer de nouvelles idées. Il est d’ailleurs à mentionner que l’émergence du mouvement de revendication des droits des gens de genre fluide est en corrélation avec l’affirmation grandissante des communautés homosexuelles, bisexuelles et transsexuelles, qui elles aussi remettent en question des valeurs héritées de la religion et de la tradition. L’éducation n’est pas la seule préoccupation qui naît de la dissolution des genres. En effet, la langue française comme la langue anglaise impliquent systématiquement une discrimination de genre. C’est donc de nouveaux pronoms, des pronoms neutres qu’il faut inventer pour rendre compte de cette nouvelle réalité à l’âge contemporain, par exemple le «ze» qui se place comme intermédiaire entre «he» et «she».[2] La solution semble donc se trouver dans une uniformisation, une unification de ce qui a été séparé, pour convenir à tout le monde. Il n’y aurait plus qu’un sexe, ce qui reviendrait à dire aucun puisque la mention deviendrait désuète. On peut voir cette tentative notamment dans les normes vestimentaires, où le vêtement unisexe est à la mode et où il y a une transgression des interdictions sociales, par exemple celle de faire porter une jupe à un homme. Cette idée de faire disparaître définitivement les genres au lieu d’en créer des nouveaux démontre un souci d’égalité et de conformisme nouveau plutôt que vraiment l’acceptation d’une marginalité qui revendique un statut particulier. C’est un peu ici comme le mouvement féministe, toutes proportions gardées, qui présente un point de vue ambigu, c’est-à-dire à la fois que la femme est égale à l’homme et qu’elle conserve un statut particulier. Faut-il alors féminiser les mots et expressions hérités de siècles de domination masculine, ou profiter de l’effondrement des traditions pour tout remettre à zéro et supprimer définitivement la différence des genres dans un nouveau langage?

Mathilde Hallynck

 

[1] Sarah HAMPSON, «Their story: ‘I want to be somewhere between two fixed points of gender’», The Globe and Mail, http://www.theglobeandmail.com/news/national/their-story-i-want-to-be-somewhere-between-two-fixed-points-ofgender/article28456135 (Page consultée le 23 mai 2016)

[2] Sarah HAMPSON, «Their story: ‘I want to be somewhere between two fixed points of gender’», The Globe and Mail, http://www.theglobeandmail.com/news/national/their-story-i-want-to-be-somewhere-between-two-fixed-points-ofgender/article28456135 (Page consultée le 23 mai 2016)

 

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