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Auschwitz, 70 ans plus tard

DÉCRYPTAGE

[Cet article a été publié dans Libération en janvier 2005, à l’occasion du soixantième anniversaire de la libération du camp]

Libéré par les Soviétiques le 27 janvier 1945, Auschwitz-Birkenau fut le plus important des camps d’extermination nazis. Dans ce complexe de la mort industrielle installé près de la petite ville polonaise d’Oswiecim furent tuées, selon les calculs de l’historien Franiciszek Piper, 1,1 million de personnes dont 960 000 juifs, 75 000 Polonais, 21 000 Tsiganes et 15 000 prisonniers de guerre soviétiques. Ces chiffres font aujourd’hui consensus parmi les historiens. Comme l’écrit Annette Wievorka : «Auschwitz désigne désormais par métonymie la Shoah.» Le camp représentait le pilier du système de meurtre industriel qui comptait d’autres camps d’extermination (Treblinka, 750 000 victimes, Belzec, 550 000, Sobibor, 200 000, Chelmno, 150 000, Majdanek, 50 000). Ces camps d’extermination étaient différents des camps de concentration où furent déportés par centaines de milliers les ennemis du régime et les résistants. La singularité de la «solution finale», qui tua de 5 à 6 millions de juifs ainsi que 200 000 à 400 000 Tsiganes, fut effacée sinon niée après la guerre et jusque dans les années 60.

Quand les nazis ont-ils décidé d’exterminer les juifs ?

La plupart des historiens estiment que «la solution finale à la question juive» fut officiellement décidée le 20 janvier 1942 lors de la conférence de Wannsee, près de Berlin. C’est peu à peu que le projet d’extermination s’était élaboré. «Il était potentiellement présent dès les années 20 dans l’esprit de Hitler, même s’il ne pouvait être perpétré que dans des circonstances particulières», raconte l’historien Florent Brayard, soulignant que c’est «seulement dans les premiers mois de 1942, après différents arbitrages, que les dirigeants nazis sont passés d’un projet d’extinction politique du judaïsme européen à plus ou moins long terme à un projet d’extermination à l’échéance d’un an». Les nazis avaient d’abord pensé forcer les juifs à émigrer hors d’Europe, mais aucun pays n’acceptait de les accueillir. Ils avaient ensuite étudié la possibilité de déportations forcées à Madagascar. Après l’occupation de la Pologne, ils commencèrent à les parquer dans des «réserves» et des ghettos. Mais ces solutions leur semblaient insuffisantes, notamment après l’invasion en juin 1941 de l’Union soviétique. «1942 a été l’année la plus tragique pour le judaïsme européen, souligne Florent Brayard. Plus de la moitié sans doute des 5 à 6 millions de victimes furent exterminées» dans les camps, les ghettos ou sous les balles.

Comment cette politique fut-elle mise en oeuvre ?

Au moins 1 million de juifs ont été tués de façon «artisanale» par les Einsatzgruppen, les «équipes mobiles de tuerie» qui suivaient l’armée allemande dans sa progression, liquidant systématiquement les populations juives. Mais ces massacres au fusil et à la mitrailleuse posaient des problèmes de «rentabilité». Durant l’été 1941, les nazis commencèrent à convertir des camions en chambre à gaz, en utilisant les gaz d’échappement. Puis ils créèrent en Pologne, dans les camps de Chelmno puis de Belzec, des installations permanentes pour le gazage au monoxyde de carbone. Jusque-là «régional», le génocide devint, après Wannsee, systématique dans tous les territoires contrôlés par le Reich. «La solution finale procéda par étapes échelonnées dont chacune résulta de décisions prises par d’innombrables bureaucrates au sein d’une vaste machine administrative», écrit Raul Hilberg dans sa somme incontournable la Destruction des juifs d’Europe. Pays par pays, il fallut d’abord identifier les juifs, puis les rassembler, les déporter et enfin les assassiner. Le système fonctionna jusqu’au bout, alors même que le Reich s’effondrait.

Quand fut construit le camp d’Auschwitz ?

A l’origine, en juin 1940, il s’agissait d’un petit camp de concentration pour des Polonais, puis, un an plus tard, pour des prisonniers soviétiques. En décembre 1941 fut organisé un premier gazage homicide «test» au Zyklon B (acide cyanhydrique) sur des Russes classés comme «communistes fanatiques» et des malades «irrécupérables». Rudolf Höss, le commandant d’Auschwitz, jugé et pendu après la guerre, raconte dans ses mémoires son entretien au démarrage de la solution finale, avec Himmler, le chef des SS, qui lui explique que «les centres d’extermination déjà existants dans la zone orientale ne sont pas en état de mener jusqu’au bout les grandes actions projetées». Auschwitz fut choisi à la fois pour les bonnes dessertes ferroviaires et le fait qu’«il peut être facilement isolé et camouflé». Les nazis attribuèrent à Auschwitz deux fonctions : l’assassinat pour ceux dont ils n’avaient pas besoin ; la mise au travail jusqu’à l’exténuation mortelle pour les autres. La main-d’oeuvre de déportés du camp I sera utilisée pour construire un deuxième camp à trois kilomètres de là. A la différence du camp de concentration, le camp d’extermination de Birkenau (Auschwitz II), «inauguré» au mois d’octobre 1941, n’avait pas d’autre but que la mise à mort industrielle. Dans un troisième camp, Auschwitz III-Monowitz, était installé une usine d’IG Farben.

Comment se faisait l’extermination ?

Les premières chambres à gaz de Birkenau fonctionnèrent à partir de juillet 1942. Les cadavres étaient alors encore brûlés dans des charniers à ciel ouvert. Le rythme des tueries s’accéléra et, au printemps 1943, quatre nouveaux ensembles de chambres à gaz ­ avec des fours crématoires adjacents ­ furent construits par la société Kopf qui en avait obtenu le marché. Les nouveaux arrivants étaient rapidement triés. Hommes et femmes en état de travailler partaient pour Auschwitz I ou III. Tous les autres, enfants, vieillards, malades, femmes avec enfants, tous ceux qui ne passaient pas la «sélection», étaient tués immédiatement. Les SS «traitaient» parfois jusqu’à 20 000 personnes par jour. Les arrivants se déshabillaient, puis sous les coups fonçaient vers ce qu’on leur disait être des salles de douche. Ils étaient enfermés dans ces pièces hermétiquement closes où étaient déversés des cristaux de Zyklon B qui les asphyxiaient en quelques minutes dans d’atroces souffrances. Les Sonderkommandos, des groupes de déportés juifs forcés à cette besogne et régulièrement éliminés, vidaient les chambres à gaz puis brûlaient les cadavres dans les crématoires, après avoir récupéré les cheveux ainsi que les dents en argent ou en or, métaux précieux qui devaient servir l’effort de guerre du Reich. Certains hommes des Sonderkommandos ­ qui avaient tenté de se révolter avant d’être tués eux aussi ­ ont réussi à tenir des journaux, retrouvés dans les cendres d’Auschwitz.

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BLx

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