Gaétan Soucy 1958-2013

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Disparition subite d’un écrivain étonnant

Jean-François Nadeau, Le Devoir, 11/07/13

Follement baroque, styliste, il était l’un des écrivains les plus étonnants que le Québec ait connus ces dernières années. Auteur de L’acquittement (1997) et de La petite fille qui aimait trop les allumettes (1998), Gaétan Soucy est décédé chez lui à Montréal d’une crise cardiaque le mardi 9 juillet. Il avait 54 ans.

Né en 1958 dans une famille de sept enfants du quartier populaire Hochelaga-Maisonneuve, Gaétan Soucy sera diplômé de philosophie, passionné par les jeux d’échecs, le cinéma et, bien sûr, par la littérature. Tout à fait fasciné par le Japon, il vivra dans ce pays dont il parlait la langue et appréciait la culture en connaisseur.

En 1994, son premier livre, L’Immaculée Conception, est lancé à l’enseigne de Laterna Magica, une maison d’édition naissante dirigée par Rolf Puls, le responsable de Gallimard pour l’Amérique du Nord. L’essentiel de son oeuvre est rassemblé ensuite aux éditions du Boréal. Publié en France aux éditions du Seuil, Soucy y avait pour éditeur Bertrand Visage, le même qui s’occupait de Nelly Arcan.

Paraissent sous sa plume L’acquittement (1997), La petite fille qui aimait trop les allumettes (1998) et Music-Hall ! (2002). On lui doit aussi une pièce de théâtre, Catoblépas, mise en scène par Denis Marleau. La pièce sera créée en 2001 et jouée à Montréal comme à Paris avec un vif succès. « Un premier essai dramatique dense et prometteur », écrivait alors Le Devoir, tout en évoquant en parallèle la force d’une tragédie de Racine.

L’éditeur du Boréal, Pascal Assathiany, dit avoir « vécu un moment spécial de l’histoire littéraire » avec La petite fille qui aimait trop les allumettes. « Ce texte extraordinaire a explosé mondialement. C’est très rare. Il a été traduit dans vingt langues et s’est trouvé diffusé dans trente pays. » Soucy doit être considéré comme l’auteur québécois le plus traduit dans le monde, comme le rappelait à juste titre le magazine Nouveau Projet dans sa plus récente édition. La plupart des grands journaux du monde ont parlé de ce livre et lui ont assuré une reconnaissance littéraire internationale. Le Times, El Pais, Die Welt et Le Monde saluèrent tous par un concert d’éloges l’immense talent de son auteur. Le soir de la première de Catoblépas à Paris, Soucy était à la une du principal quotidien en Finlande. On ne s’étonnait plus de ses succès tant ils se multipliaient.

Un nouveau roman ?

Ces dernières années, Gaétan Soucy se faisait pourtant rare, même s’il continuait semble-t-il à écrire. Pourquoi ne publiait-il plus ou presque ? Pascal Assathiany pose seulement une hypothèse : « Je crois qu’il n’arrivait pas à nous donner le texte qu’il souhaitait. Mais je ne crois pas qu’il avait renoncé. Chaque fois que je le voyais, il me disait qu’il allait nous remettre quelque chose. » L’homme avait son lot de tourments. Il affichait un air d’éternel timide. Ses regards allaient volontiers au plancher lors des entretiens. « On ne choisit pas la vie qu’on va mener. Il y avait chez Soucy un mal de vivre terrible, mais c’était foncièrement un être bon et gentil », conclut l’éditeur de chez Boréal. Des proches confirment que Soucy travaillait bel et bien sérieusement à l’écriture d’un autre roman. Music-Hall !, publié en 2002, sera son dernier titre majeur. Il avait plusieurs fois abandonné puis repris ce texte antérieur à ses autres livres.

Perrine Leblanc, une des écrivaines les plus prometteuses de sa génération, était complètement sous le choc à l’annonce de ce décès. « J’ai rencontré Gaétan en 2004. Je l’ai tout de suite trouvé lumineux ; je l’ai aimé sur-le-champ. Nous avons voyagé ensemble, nous avons vécu ensemble pendant deux ans et nous nous sommes aimés très fort. Le Québec perd un auteur majeur, une voix littéraire puissante, singulière, incomparable. Moi, je perds aussi un homme qui a compté. »

Homme à la fois simple et complexe, Soucy pouvait citer sans affectation Beckett, Montherlant ou Descartes au cours d’un même échange. Sa Petite fille aux allumettes, son oeuvre la plus saluée, est à situer quelque part entre la finesse délicieuse d’un Jacques Ferron, la logique d’un Ludwig Wittgenstein, cité d’ailleurs en ouverture, et le fantastique de l’univers d’Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll. Les critiques ne s’y sont pas trompés en voyant dans ce livre un véritable chef-d’oeuvre. Le passé y est tout proche, mais dans un décor de bout du monde qui pourrait être tout près, dans le poids d’un climat qui peut parfois faire songer à certains textes tourmentés d’Anne Hébert. L’histoire ? Deux enfants qui doivent enterrer leur père, un être à la fois craint et ridiculisé. Ce livre étonnant par sa force annonce avec une grande légèreté qu’il a été écrit en moins d’un mois, soit du 27 janvier au 24 février 1998. Mais on sait depuis qu’il s’agit là aussi de littérature, puisque l’auteur avait donné à lire antérieurement divers fragments de ce manuscrit remarquable.

En 1996, dans une « autobiographie approximative », Gaétan Soucy évoquait, sur deux courtes pages, des moments forts de sa vie. Il fut, dit-il, un enfant sensible et tourmenté ayant appris brutalement, à l’âge de quatre ans, que les êtres sont mortels. À 12 ans, il lit Edgar Poe et Camus, puis bientôt Sartre. La nausée le subjugue et il traverse L’être et le néant le coeur battant. Puis, il plonge dans l’oeuvre de Beckett, et expérimente « comme tout le monde la drogue, le sexe, le rock’n’roll, les sentiments, le mépris des sentiments, les conceptions subversives et le snobisme ».

L’importance de son oeuvre a été soulignée non seulement par la critique, mais aussi par plusieurs prix. Il s’est vu décerner entre autres le Grand Prix du livre de Montréal, le Prix des libraires du Québec, le grand prix du public du Salon du livre de Montréal, le prix France-Québec-Jean-Hamelin, le prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec et le grand prix de littérature française de l’Académie royale de Belgique. Il s’est trouvé en lice au prix Renaudot. Peu d’écrivains ont atteint ce niveau de notoriété chez nous. Sa mort tout à fait inattendue laisse notamment dans le deuil une fille, née d’une union avec une Japonaise, et une immense famille de lecteurs.

BLx

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Classé dans Art, Lettres, Philosophie

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