
Julie Roussil, Nos alters robots, Le Devoir, 25/05/24
« (…) Pour Turkle, à l’instar des réseaux sociaux et des communautés virtuelles où nos avatars et nos écrans nous permettent de garder nos distances, les robots sont une autre occasion de nous protéger des dangers potentiels du monde réel. « Les robots sociaux et la vie en ligne font miroiter la possibilité de relations totalement conformes à nos désirs. Nous pouvons programmer un robot sur mesure, tout comme nous pouvons nous réinventer en avatars séduisants. » Nous baignons ici dans un monde de simulacres, faux, construit de toutes pièces, loin des intransigeances de la réalité. (…)
Ces robots sont de véritables chambres d’écho pour leurs partenaires humains. En effet, ils sont conçus pour répondre à leurs désirs et à leurs attentes, pour correspondre à leurs idéaux et pour leur ressembler, évitant ainsi toute souffrance et confrontation. Ce sont des alter ego, ou devrait-on dire, des alter robots. (…)
On reconnaît la formation en psychologie de Sherry Turkle lorsqu’elle nous explique que la robotisation du monde des humains va de pair avec l’accroissement de la tendance au narcissisme. Les personnalités narcissiques ne sont qu’en apparence des personnes imbues d’elles-mêmes. Elles cachent une extrême fragilité et elles instrumentalisent autrui, comme des « objets du self », pour consolider et harmoniser leur vie mentale. « Autrui est perçu comme faisant partie de soi et n’existe qu’en harmonie avec un état intérieur fragile. » (…)
Nous nous demandons ensuite pourquoi l’anxiété sociale gagne du terrain. La vie réelle n’est pas une chambre d’écho ; il faut bien encore y retourner de temps en temps et être pris à regarder un autre humain fragile et imprévisible droit dans les yeux. On reconnaît ici les contours d’un cercle vicieux : plus nous utiliserons les robots, plus il nous sera difficile d’entrer en relation avec les humains ; plus les relations avec les humains seront pénibles, plus nous nous en remettrons aux robots. (…) »

