La belle affaire, on est surpris et indigné d’apprendre, comme si on était né de la dernière pluie, que TransCanada avait un plan, une stratégie de communication pour convaincre l’opinion publique des vertus de son projet de pipeline «Énergie Est». Mais quoi? C’est le contraire qui aurait été étonnant!
Les gens du pétrole sont peut-être méchants, mais ils ne sont pas des imbéciles. Tandis que les environnementalistes qui les combattent sont très certainement bons, mais peut-être un peu… disons naïfs. Les premiers n’ont certes pas besoin des seconds pour savoir qu’il n’y a rien de plus sale et polluant que les sables bitumineux et que, par conséquent, le discours qui en fait la promotion est perçu, surtout au Québec, comme un discours faible. Or il y a un art qui existe depuis l’antiquité qui enseigne comment transformer un discours faible en un discours fort. Cet art s’appelle la rhétorique.
Les moyens de communication ayant évolué, la rhétorique ne se limite plus simplement à «l’art oratoire», il y a maintenant une extension de cet art de persuader qui s’étend à l’image, à la publicité, aux relations publiques, au marketing, etc. Il ressort que d’une manière générale, on associe la rhétorique à la sophistique, c’est-à-dire à un certain usage du langage qui le détourne de sa vertu première: dire la vérité. Ainsi, on fait appel à une compagnie de relation publique, comme à un maître de rhétorique, pour persuader la population, quitte à la manipuler et à la tromper, de quelque chose qui n’est pas vrai. C’est ainsi que les «sables bitumineux» deviennent des «ressources naturelles», et voilà que le sale a été transformé en propre!
En revanche quelle portée pourrait bien avoir un discours vrai et vertueux sans cette capacité de persuader? À la guerre comme à la guerre, ne faut-il combattre l’ennemi au moins à armes égales? On a l’impression que c’est là le problème des environnementalistes, et de la gauche en générale, c’est-à-dire qu’on s’imagine qu’il suffit de dire la vérité, sans se soucier de l’efficacité rhétorique de la communication. À ce sujet, voici une remarque de Platon qui pourrait bien nous servir de leçon:
«N’aurions-nous pas, mon bon ami, maltraité la rhétorique un peu brutalement ? Peut-être pourrait-elle nous dire : Qu’est-ce donc que vous débitez là ? Vous êtes d’étranges raisonneurs. Je ne force personne à apprendre l’art de la parole sans connaître le vrai ; mais, si mon avis a quelque valeur, qu’on s’assure d’abord de la possession de la vérité, on viendra ensuite à moi ; car j’affirme bien haut que sans moi on aura beau posséder la vérité, on n’en sera pas plus capable de persuader par les règles de l’art.»
Platon, Phèdre, 260 c-d.
BLx
Très bon commentaire… que je lis comme une réponse aux propos que je tenais hier sur mon compte facebook (est-ce je me trompe?). Pour faire une histoire courte, je m’indignais que mes étudiants eux-mêmes ne s’indignent pas devant cette nouvelle alors que depuis plusieurs semaines, mon cours porte sur la critique que Platon fait des images et des apparences.
Comme je me situe dans le camp des réalistes sur le plan politique, je souscris entièrement à ton commentaire. Il est vrai qu’en cherchant à se draper de vertu et de morale, la gauche et les mouvements écologistes ont trop souvent de la difficulté à se donner les moyens rhétoriques et stratégiques pour atteindre leurs objectifs. En ce sens, il est bon de rappeler ce passage du Phèdre où Platon souligne qu’il ne faut pas condamner la rhétorique trop promptement. Comme le souligne Platon, il est profitable de faire un bon usage de la rhétorique pour défendre le beau, le bon, le vrai ou le juste. Et dans ce cas, il ne faut pas s’indigner qu’un discours soit « embelli » afin qu’il produise plus d’effet.
Mais il me semble que devant cette fuite de la stratégie de Transcan dans les médias, nous sommes devant autre chose qu’une simple habileté rhétorique servant à embellir un discours. Dans ce cas-ci, il me semble qu’il est plutôt question de maquiller le faux pour le faire passer pour du vrai. À titre d’exemple, dans son plan de communication, Transcan envisage la possibilité de payer des « blogueurs » qui, se faisant passer pour de simples citoyens, envahiraient les plateformes sociales afin de promouvoir le message de leur entreprise. Dans ce cas-ci, il me semble que Patrick Bonin, de chez Greenpeace a raison de dénoncer l’intrusion de tactiques « dignes du Tea Party aux États-Unis et qui n’ont pas leur place au Québec » (propos tenus sur la première chaine de Radio-Canada). Ces tactiques ne sont pas sans rappeler aussi la récente accusation de Michael Sona (alias Pierre Poutine), cet organisateur conservateur qui est au cœur du scandale des « robot calls » (ces appels automatisés qui prétendaient faussement aux électeurs libéraux que leur bureau de vote avait changé d’adresse à la dernière minute). Bref, dans ces cas, on ne parle plus d’embellir le discours, mais littéralement de tentative de faire passer le faux pour le vrai. Que le talent rhétorique puisse être vertueux lorsqu’il embelli ce qui est déjà beau, je veux bien, mais la malhonnêteté et la tromperie m’indigneront toujours.
J’ai saisi ton commentaire comme un prétexte pour réagir à ce que j’entendais autour de moi et à la télévision. Ce qui me surprend dans cette affaire c’est que l’on puisse croire que ce genre de plan stratégique de communication soit l’exception plutôt que la norme suivie par les grandes entreprises.
Je pars donc du principe que les grandes entreprises sont toujours déjà en train de manipuler l’opinion publique et de soudoyer les pouvoirs publics. Je subsume ensuite les moyens qu’ils utilisent et auxquels tu réfères sous la catégorie de la rhétorique à laquelle je donne une extension qui déborde l’art oratoire au sens classique. Ainsi étendue et entendue la rhétorique ne se limiterait plus à l’art du discours, elle engloberait l’«agir communicationnel dans son ensemble».
Or justement, l’agir communicationnel auquel l’environnement médiatique actuel nous contraint, commande des modes d’interventions qui dépassent la «logique du meilleur argument». Choisir, au nom de la probité, de ne s’en tenir qu’à cette posture, c’est aussi courir le risque de ne pas être compris, ou suffisamment entendu. Il peut donc sembler nécessaire d’affronter parfois l’adversaire à armes égales sur le terrain qu’il souhaite occuper.
C’est d’ailleurs ce que Greenpeace semble avoir bien compris… En rendant public un document privé, Greenpeace n’a même pas eu besoin de répondre aux arguments de la compagnie, il lui a suffi de la discréditer en exhibant sa mauvaise foi!
Alors je ne suis pas en train de dire que la gauche et les environnementalistes devraient commencer à mentir… Mais il me semble que nous devrions nous aussi avoir recours à des tactiques plus agressives qui, à côté de la discussion argumentée en vue du vrai, contribueraient à rendre plus fort un discours, pour vertueux qu’il soit, est médiatiquement faible. Quoi, par exemple? Diffusion d’images dramatiques, enquête sur la vie privée des dirigeants d’entreprises, suivre les ramifications politiques de leurs relations, etc.