Dominic Champagne – Un idéal politique situé entre le PQ et Québec solidaire
À défaut d’être candidat «libéral indépendant», l’homme de théâtre publie son «programme»
Louis Cornellier, Le Devoir, 23 août 2012
Dans un ouvrage qui sera en librairie ce vendredi, le dramaturge et metteur en scène Dominic Champagne résume son programme politique. L’artiste de 50 ans, finalement, ne se présentera pas dans Outremont comme candidat « libéral indépendant » pour faire la lutte au libéral Raymond Bachand, mais il tient néanmoins à faire connaître les idées qui ont animé ses velléités électorales.
Bref essai d’une centaine de pages rédigé dans un style fougueux, voire échevelé, Le gouvernement invisible, publié aux éditions Tête première, est d’abord un pamphlet anti-Charest. Champagne y avoue que s’il a songé à se lancer en politique, c’est parce qu’il est « convaincu de l’urgence de défaire le gouvernement libéral de Jean Charest, usé après 10 ans [sic] de pouvoir ». Le premier ministre, animé par la « philosophie politique » de « l’économisme triomphant », écrit Champagne, « a lamentablement échoué à servir l’intérêt public ».
Champagne, dont le père, à titre de sous-ministre au Tourisme en 1974, a racheté l’île d’Anticosti à des intérêts privés, ne pardonne pas au gouvernement Charest d’avoir vendu, en 2008, des permis d’exploitation du pétrole et du gaz sur l’île à des promoteurs privés. Il ne lui pardonne pas, non plus, son attitude dans le dossier du gaz de schiste, sa ligne dure face aux étudiants le printemps dernier, sa mollesse quant aux affaires de corruption et bien d’autres choses encore. C’est l’ensemble de l’oeuvre libérale qu’attaque de front Champagne.
Pour la social-démocratie
Il se réjouit, cependant, du « réveil politique » engendré par tous ces événements et affirme que « notre regain politique […] ne trouvera sa solution que dans la conciliation de nos forces, dans notre capacité à nous tenir en équilibre entre les tensions créatrices de la gauche et de la droite, là où se trouve la social-démocratie ».
Ce thème de la nécessité de « l’équilibre social-démocrate » est dominant dans le livre. Champagne insiste pour dire qu’il ne condamne pas le marché, qu’il faut « concilier les intérêts des libres entrepreneurs avec les aspirations populaires » et que « la honte, ce n’est pas d’être riche », mais de ne pas accepter de partager cette richesse grâce à l’impôt progressif. À cet égard, on pourrait dire que Champagne se situe légèrement à gauche du Parti québécois (PQ) et légèrement à droite de Québec solidaire (QS).
Un autre thème dominant de l’ouvrage est l’urgence, pour le Québec, de mettre sur pied « une vaste politique nationale sur l’énergie et les transports ». Sans prôner la nationalisation totale des ressources naturelles, Champagne plaide avec force pour « une vision clairement définie par l’État qui assure la protection de nos intérêts communs, qui stimule et encadre l’entreprise privée, impose des normes et exige des garanties ».
Souverainiste de coeur et de raison, l’artiste ne semble pas croire à la possibilité d’une résolution imminente de la question nationale. Il ne propose cependant pas, à la manière caquiste, d’abandonner cette lutte. Il suggère plutôt de la relancer sur de nouvelles bases de nature à rallier les progressistes de toutes origines.
Il faudrait, avance-t-il, s’atteler à « la rédaction d’une Constitution, garantissant à tous les citoyens le droit à la recherche du bonheur au sein d’une démocratie économique et écologique en terre française d’Amérique », dans un cadre laïque, le tout en insistant sur « le droit du peuple à disposer lui-même de ses ressources naturelles ». Ici encore, le programme de Champagne s’avère péquiste sur le fond et solidaire (le principe d’une constituante) dans la manière. Sa proposition de réforme des institutions démocratiques (élections à date fixe, limitation du nombre de mandats, référendums d’initiative populaire, proportionnelle) emprunte aussi aux programmes de ces deux formations.
La culture comme richesse
Partisan d’un développement économique durable orienté vers une indépendance énergétique alimentée aux énergies vertes (une idée péquiste), et flirtant avec le concept de décroissance (une idée de Québec solidaire), Champagne consacre des pages senties à la culture en tant que richesse nourricière et inépuisable. « Je crois profondément, écrit-il, que la principale réponse aux défis contemporains liés à la nécessaire décroissance économique et à la recherche du bonheur tient dans la fréquentation de la culture. Dans l’espace que nous accorderons à l’intérieur de nos vies à l’éducation et à la vie de l’esprit. » Dans cette logique, il se prononce pour une éducation gratuite, de la maternelle à l’université, d’abord conçue comme un lieu de culture avant d’être un lieu de formation de la main-d’oeuvre.
Emprunté à une formule de Theodore Roosevelt, qui, en 1906, dénonçait le « gouvernement invisible » et corrompu qui s’agitait derrière le « gouvernement visible », le titre du livre de Champagne laisse entendre que le Québec dirigé par les libéraux est en panne de démocratie. Pour renverser cette situation, l’artiste a donc songé à se lancer dans la mêlée comme « libéral indépendant », dans « l’esprit des libéraux de la Révolution tranquille », parce qu’il n’arrivait pas à « s’identifier pleinement à l’une ou l’autre des options proposées par les partis existants ».
Son ouvrage suggère que son idéal politique serait un amalgame entre le PQ et QS. « Écartelé entre [ses] convictions profondes et la nécessité de [se] rallier au compromis, à défaut de l’idéal », il devra donc, le 4 septembre prochain, comme nous tous, trancher.