En 2005, diminué, fatigué, il déclarait au Monde qu’après une longue vie passionnante, sa seule perspective réjouissante était sa fin. « Penser que cela pourrait continuer cinq cents ans, dans mon cas, serait terrible », disait celui qui, en 2009, résumait son existence ainsi : « such, such fun » – tellement, tellement d’amusement. Il célébrait ainsi à la fois une vie sociale extraordinairement riche, à côtoyer les plus grands et à se mesurer à eux, une vie amoureuse aux mille amants et maîtresses, clamait-il, ainsi qu’une carrière littéraire et intellectuelle nourrie de polémiques, dont il était amateur, mais aussi de succès, dont il n’était pas moins friand. L’écrivain, considéré comme l’un des géants américains à l’image de Norman Mailer et de Truman Capote, avec lesquels il entretint des relations complexes, est mort le 31 juillet, chez lui, à Los Angeles, des suites d’une pneumonie. Il avait 86 ans.
Réputé pour sa plume acerbe, Gore Vidal a parfois dit qu’il avait grandi « dans la maison des Atrides ». Né Eugene Luther Gore Vidal le 3 octobre 1925, il est le fils unique d’un militaire qui servira dans le cabinet Roosevelt et d’une femme issue de l’aristocratie sudiste, mondaine et alcoolique. Il se nourrit de politique auprès de son père, mais aussi de son grand-père maternel, sénateur de l’Oklahoma, et ne cessera jamais de se passionner pour la chose publique, au point de se présenter au Congrès en 1960 sous l’étiquette démocrate – son arbre généalogique le relie, de près ou de loin, à Jackie Kennedy, à Jimmy Carter et à Al Gore. A peine diplômé de la Phillips Exeter Academy, en 1943, il s’engage dans l’armée. Cette expérience lui inspirera en 1946 Ouragan, son premier roman et premier succès. Mais c’est avec son troisième livre que Gore Vidal impose son style et sa personnalité : en 1948, Un garçon près de la rivière, roman d’apprentissage autour d’un personnage homosexuel, hommage à son amour de jeunesse, James Trimble III, mort pendant la guerre, déclenche un immense scandale. Plusieurs journaux, dont le New York Times, refusent de le chroniquer. Le tapage et l’opprobre ne déplaisent pas à Gore Vidal, d’autant que le public achète son livre, appelé à devenir un classique de la littérature homosexuelle. Il choisit cependant d’écrire ses romans suivants, aux allures de polar, sous le pseudo d’Edgar Box.
Tenu au profil bas dans le monde littéraire Gore Vidal se tourne dans les années 1950 vers l’écriture pour Broadway, la télévision, et le cinéma. Appelé à réécrire le scénario de Ben Hur, en 1959, il y glisse, comme il le racontera en 2006, certains des motifs et éléments d’Un garçon près de la rivière. Il n’est pas crédité au générique.
Ses années de pénitence littéraire s’achèvent avec la publication, en 1964, du roman historique Julien, sur l’empereur romain apostat – Gore Vidal clamera toujours son athéisme farouche – puis, un roman politique sur Washington dans les années 1940, ou encore Myra Breckenridge, une comédie ouvertement « gay », qui ne déclenche pas le même scandale, loin s’en faut qu’Un garçon au bord de la rivière. Julien reste aux yeux de nombreux critiques le meilleur roman de Gore Vidal, qui révèle à cette époque-là qu’il est peut-être d’abord un grand essayiste avant d’être un romancier.
Son modèle ? Montaigne, dit-il. Son sujet : l’Amérique (« un bateau qui coule ») son impérialisme et son arrogance. On retrouve sans doute ses tendances d’auteur de fiction dans l’affection qu’il porte aux théories du complot, ses prises de position le faisant passer alternativement pour un homme d’extrême gauche et pour un conservateur, lui-même se définissant parfois comme un « populiste ». L’une de ses thèses est que Roosevelt a poussé le Japon à attaquer Pearl Harbour pour faciliter l’entrée des Etats-Unis dans la guerre. Les années 1960 et 1970 sont une période d’écriture extraordinairement fertile, il devient un personnage incontournable de la vie intellectuelle et culturelle américaine, et se délecte d’être au centre de polémiques. Au cours des décennies suivantes, ses livres et prises de position (sur le conflit israélo-palestinien et les attentats du 11 septembre, notamment, dont il pense que les Etats-Unis les ont attirés sur eux à force d’arrogance et d’interventionnisme) continuent de passionner l’Amérique. Mais lorsque Le Monde lui demandait quel livre il souhaitait que les générations suivantes lisent de lui, il répondait : « Aucun. L’alphabet ».
Source pour l’article: Raphaëlle Leyris, Le Monde, 1/08/12
Source pour les photos: HEDI SLIMANE DIARY 2011-02-15
Site officiel: gorevidalnow.com
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