Ne perdons pas le Nord
Jacques Dufresne, Encyclopédie de l’Agora
Le Québec n’est encore qu’une province canadienne et pourtant les élections qui vont s’y tenir bientôt devraient intéresser le reste du monde à commencer par les francophones : il y sera question du développement du Nord, c’est-à-dire de biens communs de l’humanité tels que l’eau, l’énergie et le fer, sur un territoire deux fois plus grand que la France. Jacques Cartier, le découvreur du Canada a utilisé l’expression «Terre de Caïn» pour décrire la côte septentrionale du golfe du Saint-Laurent, quand il l’a aperçue pour la première fois en 1534. Il faisait allusion au chapitre IV de la Genèse, où Caïn, ayant tué son frère, est condamné à labourer une terre stérile. Terre de Caïn, terre deux fois maudite : d’abord par la nature et ensuite par les hommes qui semblent se réjouir d’avoir au Nord un immense territoire qu’ils peuvent impunément transformer en dépotoir après en avoir tiré à la hâte des richesses dont, au rythme actuel de leur exploitation, les générations futures seront privées.
Le mieux que l’on puisse dire du rapport des Québécois à ce territoire est qu’il est ambigu. Tout se passe comme si nous avions nous-mêmes commis la faute de Caïn. Et en réalité nous l’avons commise en cédant sans condition ce jardin nordique à des entreprises qui en exploitèrent les richesses accumulées dans son passé sans aucun souci pour son avenir. Pour la plupart, nous sommes encore indifférents à cet avenir et quand nous échappons à cette indifférence c’est pour éprouver un sentiment de culpabilité aussi stérile que celui de Caïn. Notre terre promise c’est la Floride. Le Nord est notre tombe : Dans sa version de l’histoire de Caïn, Victor Hugo nous dit que même en s’enfermant dans une tombe, Caïn ne parvenait pas à échapper à l’oeil réprobateur de Dieu.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.
Qui donc a dit que celui qui se sent coupable de tout, ne se sent responsable de rien? L’heure est enfin venue pour nous de passer de la culpabilité à la sollicitude, de prendre possession du Nord d’une façon responsable. Nous voulons être maîtres chez nous, plusieurs aspirent à la souveraineté. L’atteinte de l’un ou l’autre de ces buts dépendra largement de la détermination avec laquelle nous transformerons notre terre de Caïn en terre d’Abel.
Si nous reportons au pouvoir le parti libéral, rien ne changera dans notre rapport avec le Nord et, quatre ans plus tard, les décisions les plus importantes, concernant des ressources proches de leur épuisement, auront été prises de façon irréversible dans un climat de corruption à peine interrompu par une commission d’enquête. Le Nord nous apparaît encore comme un territoire annexé à exploiter, en le spoliant si nécessaire; il faut qu’il devienne pour nous un jardin à cultiver, dans un esprit dont plusieurs de nos artistes, de nos poètes ont déjà eu le pressentiment. Pour lire la suite: http://agora.qc.ca/Dossiers/ne_perdons_pas_le_nord