Le mois d’octobre est synonyme d’Halloween pour la majorité des enfants du Québec. Ce fut mon cas jusqu’à l’âge de douze ans. Effectivement, le mois d’octobre a une tout autre signification pour la majorité de la population de l’Abitibi-Témiscaminque, car à l’âge de douze ans moi, comme beaucoup d’autres enfants, avons passé notre « cours de chasse ». Ce cour consiste à apprendre les maniements des armes, à bien connaitre la faune, ainsi qu’à prouver que nous sommes capables de chasser. Une fois l’examen terminé, je suis plongé dans l’attente et ce n’est que deux semaines plus tard que j’ai reçu par la poste le résultat qui fût positif, ainsi que ma carte me donnant le droit de chasser avec un adulte, car ce n’est qu’à l’âge de dix-huit ans qu’il est possible de chasser seul. Maintenant que j’ai ma carte de chasse, j’ai évidemment besoin d’une arme, mais comme la loi sur l’âge limite pour chasser, il y en a une, qui est la même pour l’acquisition et la possession d’une arme, il faut dix-huit ans pour avoir une arme à notre nom, alors moi et mon père sommes allés m’en acheter deux à son nom. Bref, j’ai maintenant ma.270 pour chasser l’orignal, et une.22 pour la perdrix. Tous ces événements se déroulent l’été, je dois donc attendre à l’automne, en octobre, pour l’ouverture de la chasse.
Une fois la date arrivée, c’est plusieurs rituels qui s’installent pour la population de Témiscamingue. La chasse commence habituellement le premier samedi d’octobre, alors le vendredi matin il y a la messe du chasseur pour les croyants, je n’y suis jamais allé, mais mes tantes oui. Ils m’ont dit que le curé parle de chasse quelque peu, puis s’entretient avec chacun d’eux pour leur souhaiter bonne chance, puis le reste du temps c’est une messe traditionnelle. Il y a aussi le déjeuner du chasseur où beaucoup de chasseurs se réunissent pour parler de chasse, des traces d’orignaux qu’ils ont vu sur leur territoire de chasse, etc.
Après, les gens se dirigent vers leurs camps, avec des provisions pour être capable de survivre deux semaines dans le bois, ainsi que plusieurs boissons alcoolisées, car la chasse sans alcool ce n’est pas pareil! Le vendredi soir l’ambiance au camp est à la fête, un bon repas en bonne compagnie et un gros dodo pour le lendemain.
Le samedi matin à 6 heures c’est l’heure de se lever, un gros café, un très léger déjeuner et une petite marche vers nos tours, dont certaines sont à 45 minutes à pieds, car on doit marcher très lentement pour ne pas faire de bruit. Pour ma part le premier matin de ma première chasse à vie, je suis mon père à la tour du pin, à 15 minutes du camp. Je m’installe et j’attends, rien. Vers 11 h on est de retour au camp pour dîner et écouter le rendez-vous du chasseur, qui est une émission dans laquelle des gens appellent pour féliciter ou encourager des chasseurs.
Maintenant, je passe 5-6 années, je n’ai toujours pas tué d’orignaux, mon oncle oui, ainsi que mon père quand je n’étais pas avec lui. J’ai donc dix-huit ans, c’est la troisième ou quatrième journée de chasse. Les deux premières journées ont été très tranquilles, mes partenaires de chasse sont dans des tours, je suis seul sur la galerie du camp où il y a une très belle vue pour chasser.
Il est environ 9-10 heures du matin, je me suis endormi sur ma chaise berçante qui est sur la galerie. Je me réveille il est environ 10 h 30, je décide donc d’aller couper du bois à côté du camp pour faire un feu, car il fait froid. Je coupe une dizaine de bûches et je m’en vais au camp pour faire le feu, mais à ce moment qu’est-ce que je vois à 850-900 pieds, une très grosse femelle orignal qui s’apprête à traverser l’étang, je suis chanceux, car je peux seulement tuer les femelles une année sur deux, c’est la loi pour préserver l’espèce. Elle est à environ 100 pieds de mon frère dans sa tour, mais il ne peut pas la voir, car elle est cachée par une pointe de forêt. Je dépose les morceaux de bois par terre, ils peuvent attendre. Je cours prendre ma carabine et je vise l’orignal, je tire une première balle, elle ne bouge pas, alors je lui en tire une autre et une autre, j’ai compris par la suite que je l’avais atteint toutes les fois, mais pour l’instant je ne le sais pas. La femelle se tourne de dos, et regarde vers moi, je ne peux donc plus lui tirer dans le cœur, et je ne peux pas non plus lui tirer dans les fesses, car beaucoup de viande s’y trouve, alors je décide de lui viser la tête à 850 pieds, je tire et je vois qu’elle se met à trembler, mais elle ne tombe toujours pas. Je recharge une balle et tire une dernière balle vers la tête, elle se met à courir et fait environ 20 pieds et tombe dans le bois, je lui ai troué l’oreille avec la première balle, et cassé la mâchoire avec la seconde. Je prends quelques bières dans le frigidaire, et je pars à la rencontre de mon orignal. Je rencontre mon père qui était avec mon frère de 15 ans et qui me dit qu’ils ont vu mes deux dernières balles frapper dans l’eau devant eux. Il me demande si j’ai touché l’orignal si c’est un mâle ou une femelle, je lui dis que je ne sais pas si je l’ai touché, car elle ne bougeait pas alors nous allons voir et elle est là couché par terre, morte.
Les chasseurs ne sont pas des sauvages sans émotion, nous avons un grand respect pour les animaux, c’est pour cela que nous nous dépêchons à aller voir si l’orignal est mort, car on ne veut pas que la bête souffre inutilement. Par contre, il y a aussi une autre raison pour trouver l’orignal rapidement, car il faut lui couper la gorge pour le vider de son sang, car sinon l’orignal gonfle et la viande se gaspille. Nous coupons donc l’orignal en quatre quartiers, que nous pendons pendant 24-48 heures à l’extérieur avant de l’amener dans le garage pour enlever le poil, et nous l’amenons finalement chez le boucher. Mais avant, une fois l’orignal accroché à côté du camp, tout le monde me félicite, on boit quelques bières puis on dîne, les autres chasseurs retournent à la chasse, en fait que deux des quatre chasseurs du camp, car l’un d’eux doit mettre son permis sur mon orignal, car c’est un orignal pour deux permis. Voici donc ce qu’est la chasse, il faut aimer la nature, et être patient, car je n’ai toujours pas tué d’orignal depuis ce temps.
Jean-François Demers