Le PLQ et le français – Langue de la tribu
Antoine Robitaille, Le Devoir, 15/01/13
Pitoyable, il faut oser le terme (car « pathétique » serait un anglicisme…). Il faut l’oser pour qualifier nombre de commentaires sur la langue française tenus par des candidats à la direction du Parti libéral, lors de leur premier débat.
Le député de Châteauguay, Pierre Moreau, s’est particulièrement « illustré ». Il a soutenu qu’il fallait être fier des « Hi, bonjour » qu’on nous sert fréquemment dans les commerces de Montréal. Ce « Hi », s’est-il réjoui, traduirait l’aspect « international » de la métropole. Ce « Hi » s’adresse à un « touriste qui vient acheter dans ce commerce-là et participera au développement économique du Québec ». Et le « Bonjour », lui ? Il « s’adressera à tous les Québécois qui souhaitent se faire parler en français. C’est leur responsabilité de [répondre] : oui bonjour, servez-moi en français ».
Tant qu’à y être, accentuons le bilinguisme au centre-ville. Les touristes en seront rassurés. Un simple « bonjour » en omettant le « Hi » correspondrait à une fermeture. Au fait, retirons aux préposés des kiosques touristiques leur macaron « Bonjour », porté depuis des décennies. Ça ne fait pas assez « international ».
Pitoyable, donc, de voir le français de plus en plus souvent réduit, dans les discours libéraux, à la langue de la « tribu » des « Québécois d’ascendance canadienne-française » (selon l’étiquette du sociologue Gérard Bouchard).
Dans la bouche des candidats, le français ne peut jamais être un signe d’ouverture, de progrès. Toujours un « frein ». Dire qu’il y eut un chef du Parti libéral, Georges-Émile Lapalme, qui a déjà écrit (en 1959) que deux éléments permettaient aux Québécois d’avoir accès à l’« universel » : la démocratie et « le fait français ». Toute la Révolution tranquille imaginée par Lapalme passait par une véritable renaissance française. Celle-ci a eu lieu en grande partie.
Pour prendre conscience du pitoyable des échanges de dimanche, on relira le discours d’un autre chef libéral, Robert Bourassa, sur la loi 22, qui faisait de la langue française la seule langue officielle du Québec. Un « progrès », disait-il « pour la majorité francophone ». « Gouverner le Québec, déclarait-il le 15 juillet 1974, c’est s’assurer que l’État soit le gardien de la langue, c’est-à-dire de l’esprit français à tous les niveaux. »
Lapalme a séparé le PLQ du PLC en 1955. En 2013, on dirait qu’un triste rapprochement s’opère. Le site Internet du candidat Pierre Moreau et les communiqués du PLQ sont aussi ridiculement bilingues que la langue de Justin Trudeau. Dans certains discours, les candidats affirment que le français est la « langue commune » au Québec et que les anglophones sont maintenant en grande partie bilingues. Alors, pourquoi bilinguiser, de plus en plus ? Paradoxe. La réponse, Philippe Couillard l’a peut-être donnée, en entrevue au Devoir la semaine dernière : « Il faut faire attention à la tentation de la majorité francophone, qui est nous, d’imposer sa vision aux autres communautés. » Autrement dit, la tribu ne doit pas trop s’affirmer. Pitoyable.
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BLx
Gaston Miron dans Décoloniser la langue:
« J’ai cherché à comprendre comment la langue fonctionnait chez moi et quel était le fonctionnement de la langue commune à l’échelle de mon entourage et de la communauté. Peu à peu s’est imposé à moi le constat que j’étais devenu, pour une bonne part, étranger à ma propre langue, que celle-ci subissait à mon insu l’intrusion d’une autre langue, en l’occurrence l’anglais. Je ne savais pas l’anglais, et cependant j’étais un unilingue sous-bilingue : je savais une centaine d’expressions toutes faites comme Where is Peel Street? qui me permettent d’être fonctionnel et directionnel dans cette société. Quand je lisais : Glissant si humide, je croyais que c’était du français, je comprenais parce que en même temps je lisais Slippery when wet, alors que c’est de l’anglais en français, c’est l’altérité. Pendant dix ans, j’ai emprunté des centaines de fois les autoroutes sans tiquer au sujet de la signalisation : Automobiles avec monnaie exacte seulement/Automobiles with exact change only – Partez au vert/Go on green, etc., et j’ai constaté que des milliers d’usagers en faisaient autant. Un jour, j’ai ressenti un étrange malaise, presque schizophrénique. Je ne savais plus dans ce bilinguisme instantané, colonial, reconnaître mes signes, reconnaître que ce n’était plus du français. Cette coupure, ce fait de devenir étranger à sa propre langue, sans s’en apercevoir, c’est une forme d’aliénation (linguistique) qui reflète et renvoie à une aliénation plus globale qui est le fait de l’homme canadien-français, puis québécois, dans sa société, par rapport à sa culture et à l’exercice de ses pouvoirs politiques et économiques.
Cette situation existe-t-elle toujours?
Bien qu’intervienne une large prise de conscience et qu’il se trouve une praxis de reconquête, de récupération, les jeux ne sont pas faits. C’est, dans l’ensemble, toujours le statu quo, un statu quo qui s’enlise. Notre langue, comme outil de communication, et même d’expression, est toujours dans une situation prépondérante de diglossie. Ce terme désignerait une situation où une communauté utilise, suivant les circonstances, un idiome plus familier et de moindre prestige (le français) ou un autre perçu comme plus savant, plus recherché et prestigieux (l’anglais). Mais la situation est encore plus complexe car non seulement sommes-nous aux prises avec un idiome perçu comme prestigieux (l’anglais), mais à l’intérieur même des dialectes québécois et français certains voudraient nous faire adhérer à un dialecte lui aussi perçu comme prestigieux : le français international. Là encore, cette situation renvoie au statut du sujet parlant, l’homme québécois, son statut social, dans la société Canadian, et dans sa propre société où il est majoritaire. Pourtant sa langue n’est le signe d’aucune promotion sociale, d’aucune mobilité verticale, sauf dans les cas où la société québécoise constitue un marché. Il n’est relativement à l’aise pour sa communications que dans les domaines de l’intériorité culturelle : la religion, l’école, la famille, les services, les manifestations spécifiquement culturelles. Ces domaines correspondent d’ailleurs aux pouvoirs partiels dont il dispose à Québec, que ses pères ont durement négociés et payés par le passé, au prix d’échecs et de guérillas parlementaires, et sur lesquels il s’appuie pour résister, pour se survivre comme entité culturelle et linguistique distincte. C’est pourquoi les dialectes québécois sont toujours parlés tant bien que mal. Nonobstant ces pouvoirs, il y a longtemps qu’ils seraient devenus des enclaves folkloriques. Pour ce qui est de l’extériorité culturelle, l’ensemble de l’activité sociale, la communication de l’homme québécois lui échappe aux trois quarts, elle n’a pas de prise réelle, elle est refoulée continuellement vers le dedans. Il en vient à percevoir sa culture et sa langue qui en est le produit comme dévalorisées, pour usage domestique seulement. La notion même de culture est assimilée au fait de savoir la langue de l’autre pour accéder aux valeurs dominantes; combien de fois ai-je entendu cette phrase : « Il est instruit (ou cultivé), lui, il sait l’anglais. » Dans ces conditions, on s’en sacre de dire cheval, joual, ouéoual… puis les campagnes du bon parler, puis « bien parler, c’est se respecter »… ce qui compte, ce qu’il faut dire, c’est horse. […] »
Un long chemin Proses 1953-1996, Montréal, L’Hexagone, 2004, pp.79-82
Merci François pour ce texte de Miron qui me jette à la renverse: son actualité prophétique ou, pire, sa prophétie actualisée, me tue!
Retour du boomerang de notre fatigue culturelle, de nos non-choix, de faux accommodements envers nous-mêmes, de nos désirs de ne pas vivre la vie que nous pourrions vivre, etc.
voici avec images et son, Gaston Miron expliquer l’essentiel de son propos: http://archives.radio-canada.ca/arts_culture/poesie/dossiers/1234/