Ces punks qui font trembler Poutine
Sacrilège, profanation, blasphème : ces accusations ont été portées avant-hier contre les trois membres du groupe musical féministe russe Pussy Riot, incarcérées de manière préventive depuis cinq mois pour avoir récité une prière anti-Poutine dans la plus grande cathédrale de Moscou. (…) Que se passe-t-il donc, au pays de Vladimir Poutine, pour que trois jeunes performeuses, mères de famille, soient placées en détention provisoire depuis le début du mois de mars ?
Tout débute le 21 février dernier. Le groupe de musique féministe et écologiste Pussy Riot entre dans la cathédrale moscovite Christ-Sauveur. Vêtues de petites robes colorées et cagoulées, les jeunes filles dans la vingtaine investissent l’autel le temps d’une prière irrévérencieuse où, filmées, elles entonnent un « Vierge Marie, devient féministe, délivre-nous de Poutine ! » L’action vise aussi le patriarche de l’Église orthodoxe russe, Kirill, et déclenche l’ire des dignitaires religieux.
Quinze jours et plusieurs milliers de visionnements de leur performance sur YouTube plus tard, les autorités répliquent. Nadejda Tolokonnikova (la mère de Gera), Maria Alekhina (maman de Philippe) et Ekaterina Samoutsevitch sont arrêtées et placées en détention préventive pour « vandalisme en bande organisée », encourant ainsi sept ans de réclusion et la perte de leurs droits parentaux.
Les Pussy Riot n’en étaient pourtant pas à leur première action depuis la formation du groupe en 2011. Elles ont multiplié les « flashmobs » dans les stations de métro, sur le toit des bus, à la place Rouge, etc. Comprenez, Vladimir Poutine vient tout juste d’être élu… pour la troisième fois.
« Avant, il était tout de même possible de faire sortir des activistes de prison… Avec l’emprisonnement des Pussy Riot, un signal a clairement été envoyé à tous les citoyens pour dire que la répression a véritablement commencé », explique au Devoir Denis Polopov, jeune peintre réfugié politique aux Pays-Bas. « La Russie, en particulier sous Poutine, a tendance à devenir de plus en plus autoritaire et les tribunaux sont utilisés pour réduire au silence et emprisonner les nombreux opposants à l’élite dirigeante », estime pour sa part Kyle Matthews, chercheur principal en droit de la personne à l’Université Concordia.
Même au tribunal Taganski de Moscou, rien ne se déroule comme il se doit. Des accusations ont été déposées jeudi dernier seulement contre les Pussy Riot et la Prokuratoura a décidé de ne consacrer que cinq jours à l’examen du dossier. Jugeant ce délai trop court, les trois filles ont entamé une grève de la faim. « Leur cause prouve que le système de justice en Russie est une farce : ils détiennent les gens sans procès pendant cinq mois, ils rejettent toutes les preuves fournies par la défense, ainsi que deux expertises attestant que les filles n’ont pas commis d’infraction, alors qu’ils acceptent une tierce partie qui se base sur des textes médiévaux se référant à l’interdiction d’orgies dionysiaques, païennes et hellénistiques ! » nous écrit Anna Zobnina de l’Institut méditerranéen d’études de genre, basé à Chypre. La féministe d’origine russe qui anime en partie freepussyriot.org dénonce aussi le faux espoir donné samedi dernier par un appel anonyme au mari de Tolokonnikova et à son avocat, laissant croire à l’éventuelle remise en liberté des filles. Lundi, le verdict de la cour est tombé sans surprise : l’emprisonnement est prolongé jusqu’au 20 juillet.
Nadejda Tolokonnikova est, entre autres, étudiante de 5è année à la Faculté de philosophie de l’Université de Moscou.
Lire la suite de l’article et les commentaires du groupe Mise en demeure: Le Devoir, 14/07/12
BLx