À force de chercher le sens de ce qui arrive, habités par le sentiment d’être dépassés par l’ampleur de ce qui a surgi, on peut trouver utile de convoquer la devise du Québec Je me souviens. Mais qu’est-ce qu’une devise, sinon un signe par lequel on se connaît et par lequel on se fait reconnaître? Or depuis les 100 derniers jours, nous avons été amenés à nous souvenir de ce que nous avions oublié, à savoir que notre histoire en est une de lutte et de résistance, oscillant entre le «radicalisme» et la «résignation». Les vidéos qui suivent tendent à montrer que les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Dans cette première vidéo, on peut voir René Lévesque répondre de façon un peu embarrassée à des questions concernant Pierre Bourgault, identifié alors à la faction la plus «radicale» du mouvement indépendantiste. Les positions de Lévesque ne seront pas toujours aussi modérées car il en viendra plus tard à exclure Bourgault du Parti québécois, mais dans cette vidéo il exprime tout de même sa crainte et son impatience devant le risque que «l’effervescence et la violence du climat actuel» ne nuisent au mouvement et que dans les médias on associe le Parti québécois à la «vitre cassée».
Mais dans cette deuxième vidéo, Pierre Bourgault, s’adressant aux militants du Parti québécois, dit que lorsqu’on est porteur d’un projet qui dérange il faut assumer l’insécurité qu’il peut susciter car la liberté n’est pas quelque chose qu’on quémande mais qu’on doit prendre, ce qui ne manquera pas de perturber le cours habituel des choses. On remarquera à quel point Lévesque est excédé par ce qu’il entend. De plus, dans ce discours Bourgault évoque le nom de Michel Chartrand, une des figures les plus importantes de l’histoire du syndicalisme au Québec et bien connu pour sa verve, son audace et sa témérité qui le conduisirent en prison. L’évocation du nom de Chartrand vise à soulever la question suivante: la faction radicale d’un mouvement contribue-t-elle plus à l’avancement ou à l’échec d’une cause?
L’extrait suivant, tiré du film 24h ou plus (1973) de Gilles Groulx, nous aide à comprendre que ce qu’il peut y avoir d’«excès» dans le «radicalisme» ne découle pas toujours d’une posture non réfléchie, mais peut avoir le sens d’un mécanisme de défense ajusté à la mesure de l’excès à combattre. C’est probablement pour cette raison que Michel Chartrand lors d’un ralliement syndical à l’ordre du jour duquel figurent grèves et loi matraque, commence son discours par un rappel historique des excès qui ont mené les travailleurs à s’organiser pour défendre leurs droits.
À sa sortie de prison, après quatre mois de détention sous la loi des mesures de guerre décrétée lors des événements d’Octobre 70, Michel Chartrand explique le recours à cette loi spéciale par le fait d’hommes politiques «trop lâches pour faire face aux événements et aux nouvelles générations». Ce n’est pas un fait anodin que Chartrand retrouvant sa liberté cite Gaston Miron, comme le fera plus tard un certain Gabriel…
«Comme dit Miron le magnifique, « les hommes vont marcher de front »». Nous pressentons tous que quelque chose d’important commence et cela commence, comme dit Chartrand, en se mettant «en opposition carrée au pouvoir!»
Mais évidemment, tout ça c’est la faute à Gabriel!
BLx et Christiane Gauthier