Aujourd’hui, un collègue qui enseigne la philosophie avec moi au Collège Montmorency, apprenait qu’il devra entrer en classe pour donner un cours sous injonction. Il était très nerveux d’avoir à enseigner avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. N’ayant jamais enseigné dans un tel contexte juridique, il se demandait: « Est-ce que j’ai le droit de ne pas enseigner dans la peur, sous la menace de la prison ou d’une lourde amende, escorté par des agents de sécurité? »
Voici la réponse que j’avais à lui offrir:
« Personnellement, je donnerais mon cours sur l’Alcibiade de Platon. J’étudierais plus particulièrement l’argument d’Alcibiade qui veut que l’acte juste soit moins utile que l’acte injuste et je ne me gênerais pas pour faire des parallèles entre l’opinion d’Alcibiade et celle des « injoncteurs ».
Évidemment, je resterais serein et je ne chercherais pas la confrontation. Mon but n’est pas de prouver à mes étudiants que j’ai raison et qu’ils ont tort, mais de les amener à réfléchir sur la légitimité de leurs choix et de transformer leur réalité en expérience philosophique.
Si mes étudiants sont pour porter plainte contre moi pour outrage au tribunal et qu’ils tentent ainsi de censurer mon cours, qu’ils m’accusent et me condamnent! De toute façon, dans de telles conditions, je ne vois pas pourquoi je continuerais d’enseigner la philosophie.
Au fond, je me sens un peu comme Socrate dans l’Apologie où, suite à sa condamnation à mort, on lui offre la vie sauve s’il accepte de ne plus questionner les Athéniens comme il avait l’habitude de le faire. À cela, Socrate répond: « une vie sans examen ne vaut pas la peine d’être vécue ». Pour ma part, je ne crois pas trop trahir la pensée de Socrate en disant qu' »un cours de philosophie sans questionnement ne vaut pas la peine d’être enseigné ». Je donnerai donc mon cours, comme à l’habitude, en faisant des références à l’actualité (aux injonctions) et nous verrons si les étudiants sont capables d’un peu plus de jugement que Mélétos et Anytos, ces deux Athéniens qui accusèrent Socrate et qui furent responsables de sa mort. »
Jean-Philippe Martin