Russie . Le procès des punkettes qui avaient entonné une prière anti-Poutine dans une église a débuté hier.
Sous le cagnard, les policiers armés jusqu’aux dents qui gardent l’entrée du tribunal ont retroussé leurs cagoules. Ça évite l’embarras. Parce que les militants venus soutenir les punkettes de Pussy Riot en ce premier jour de procès sont cagoulés. Comme l’étaient les jeunes filles le jour de leur prière punk dans l’enceinte de la cathédrale du Christ-Sauveur, aujourd’hui sur le banc des accusés.
Collusion. En détention depuis cinq mois, Maria Alekhina, Ekaterina Samoutsevitch et Nadejda Tolokonnikova vont enfin entendre l’acte d’accusation. Dans des adresses lues par leurs avocats au début de l’audience, les trois jeunes femmes regrettent à l’unisson d’avoir blessé les croyants avec une performance que Tolokonnikova a qualifiée de «faute éthique». Mais elles refusent de plaider coupable. Pour avoir chanté «Marie, mère de Dieu, chasse Poutine» dans la cathédrale, elles sont accusées de «hooliganisme» et encourent sept ans de prison. Pourtant, elles n’ont pas cherché à insulter les croyants ou l’Eglise, mais seulement à protester contre les appels du patriarche Kirill à voter pour Poutine ; leur geste politique ne visait qu’à dénoncer la collusion entre l’Eglise et l’Etat, qui chagrine de nombreux orthodoxes à travers le pays, assurent-elles dans leur déclaration. «L’Eglise doit aimer tous ses enfants, mais elle ne semble aimer que ceux qui aiment Poutine», remarque Maria Alekhina.
«L’Eglise aurait dû prendre une position en vertu du principe du pardon, et ne pas se comporter comme un département du pouvoir», commente Alexandre Lebedev, qui finance le journal d’opposition Novaïa Gazeta et qui s’est porté garant, parmi d’autres personnalités politiques et culturelles, pour les arrêts domiciliaires plutôt que la détention préventive. Hier, il est venu soutenir les jeunes femmes au nom du droit de manifester. «Les juges ne peuvent pas prendre le risque d’absoudre celles qui ont outragé Poutine, tandis que tout le système œuvre à ne pas permettre à l’opposition de se former en tant qu’institution», assure-t-il. Pendant une pause, l’avocate de Samoutsevitch, confirme : «L’affaire est politique.» D’autant que le comité d’enquête n’économise pas ses forces pour entraver le travail de la défense, en empêchant les avocats de préparer le procès avec leurs clientes. «Il est donc absurde de dire que leurs droits sont respectés», conclut la juriste. Comme la plupart des procès contre des «dissidents» au régime, cette audience confine à la farce.
«Amoral». La première victime à témoigner, la «dame bougies» préposée aux cierges dans la cathédrale, Lioubov Sokologorskaïa, raconte au procureur les terribles secondes de la «profanation» : «Je ne peux pas décrire leurs gestes, c’étaient des trémoussements démoniaques… Elles portaient des robes aux épaules ouvertes, de toutes les couleurs, et des collants bariolés aussi !» Et de conclure : «Ce genre de comportement est amoral partout, pas seulement dans une église.» Elle reproche aux filles d’avoir «profané [ses] sentiments, [sa] foi, [ses] idéaux, [son] choix de vie», et exige une sentence qui «leur fasse à jamais passer l’envie de recommencer».
La prière anti-Poutine ne cesse d’alimenter le débat, depuis des mois. Si beaucoup d’orthodoxes désapprouvent une performance souvent jugée «idiote» et «sans grand intérêt», ils sont nombreux à manifester leur solidarité avec des jeunes femmes érigées en martyres par un système arbitraire et corrompu, où les tribunaux sont au service du pouvoir.