Jeux olympiques – Difformités en jeux
Serge Truffaut Le Devoir, 27 juillet 2012
Grâce aux Jeux olympiques de Londres, à son organisation et en particulier à ses difformités financières, on comprend comme jamais qu’Adam Smith, le père de l’économie moderne, et George Orwell, le contempteur de la surveillance policière, ne pouvaient qu’être Britanniques. On comprend surtout que c’est en Angleterre et nulle part ailleurs que Karl Marx a pu écrire Le capital. Welcome to London, la capitale du capitalisme stalinien.
De prime abord, on pourra croire que ce qui précède est une énième saillie journalistique logeant à l’enseigne de l’exagération dans le sens le plus obtus qui soit. Et pourtant… On va vous donner un premier exemple illustrant les dérives constatées sur les bords de la Tamise : le site olympique compte 800 restaurants auxquels on a interdit la vente de frites. Comment se fait-il ? McDonald a négocié et obtenu l’exclusivité de cet aliment réputé pour bien accompagner… les moules. Reprenons.
Pour tout ce qui a trait, absolument tout, aux espèces sonnantes, le comité organisateur des Jeux olympiques (LOCOG), les entreprises concernées, les annonceurs et les commanditaires se sont entendus comme larrons en foire. Sur ce flanc, celui de l’argent et du « flicage » que cela commande, les organisateurs des éditions antérieures étaient soit de gentils amateurs, soit des personnes habitées par une certaine retenue, soit des individus crédules parce que respectueux, en partie et non en totalité, de l’idéal défendu par Pierre de Coubertin, père des Jeux modernes.
Toujours est-il que lord Sebastian Coe, le patron du LOCOG, les dirigeants du CIO et ceux de McDo, Coca-Cola, BBC et autres ont cultivé le fétichisme de la marchandise dans des proportions qui dépassent l’entendement. À preuve, ils ont arrêté des mesures propres à bannir l’ombre du petit profit que pourrait faire le commerçant du coin. Ils ont composé une participation financière propre à leur garantir le rapatriement du moindre dollar.
Un boulanger reproduit par bagels interposés les anneaux olympiques ? Un des 280 inspecteurs de l’Olympic Deliverance Committee, qui font penser à ces pompiers de Fahrenheit 451 chargés de brûler les livres, débarque et ordonne la démolition du travail accompli. Une fleuriste compose un bouquet aux couleurs des anneaux ? Idem. Une mamie imprime le sigle olympique sur le chandail qu’elle a confectionné pour un bambin de trois ans et qu’elle entend vendre 4 $ au bénéfice d’un organisme de charité ? Les pompiers éteignent sa bonne action. Le moteur de cet usage des forceps ? Le LOCOG ayant fait main basse sur le sigle olympique, toute référence aux anneaux, à ses couleurs, doit être monnayée. À quel prix ? Le fort.
Le plus fort afin de garantir aux esprits imbibés par l’appât du gain le plus aiguisé qui soit le maximum de profits. Ainsi, on interdit le transport de bouteilles de plus de 100 ml sur le site. La raison évoquée est une caricature de l’euphémisme : la sécurité. Mais bien évidemment, on n’empêche pas Coca-Cola de vendre ses 300 ml sur le site. Parlant de cette dernière, lord Coe a prévenu sur les ondes de la BBC que toute personne portant un t-shirt sur lequel le nom de Pepsi-Cola sera refoulé ! Qu’un lord de Sa Majesté, lui-même ancien médaillé olympique, se soit transformé en stakhanoviste du bien-être de Coca et consorts relève, avouons-le, du prodige. Il y a pire.
En effet, Coe et ses satrapes se sont attelés à raboter le libre arbitre de chacun. Ils ont établi des listes des mots dont l’utilisation écrite est limitée. Toute formule reprenant deux mots de la liste « Jeux, deux mille douze, 2012 » sera considérée comme une infraction. La combinaison de l’un d’eux avec « Londres, médailles, annonceurs, été, or, argent et bronze » sera sanctionnée. On a interdit aux athlètes, à ces jeunes qui suent depuis des années et des années, de télécharger des enregistrements audio et vidéo de leurs participations. À ce jeu de massacre, de négation de l’individualité, Facebook et Twitter vont participer. En effet, le Saint-Graal informatique des jeunes générations va intégrer le bataillon de Fahrenheit 451.
Cette dérive tous azimuts a été rendue possible par la mise entre parenthèses, et pour la durée des jeux, de l’État de droit. En effet, depuis Sydney en 2000, le CIO « exige, pour reprendre les mots du journal The Guardian, des pays candidats qu’ils s’engagent à adopter une législation ad hoc pour fournir un train supplémentaire de sanctions légales » au seul bénéfice des entreprises privées. À l’évidence, lord Coe et ses complices ont insulté la mémoire d’un très grand Britannique, John Locke, le concepteur de l’État de droit. No Comment !
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