Reductio ad Stalinum…
Sophie Durocher du Journal de Montréal (JdeM) proposait récemment un florilège de commentaires de « nos artistes » lus sur Twitter au sujet de la crise printanière. Quelle bonne idée !
Contrairement aux allumettes et aux blagues, les bonnes idées peuvent servir plusieurs fois. Voici donc quelques extraits choisis dans les commentaires de distingués commentateurs professionnels publiés depuis moins d’un mois. Un éditorialiste, des chroniqueurs : du sérieux.
Le fil rouge de cette sélection ? La reductio ad Stalinum, procédé rhétorique qui consiste à disqualifier les arguments des adversaires (de gauche…) en les associant à Staline et ses crimes.
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Mario Roy, La Presse, 25 mai : « Les principes fondamentaux qui civilisent les sociétés évoluées, prospères et pacifiques, c’est-à-dire la primauté du droit ainsi que la mécanique démocratique, ont pris un sale coup sur la gueule. Du jamais vu ici. […] Il s’agit d’un recul, non pas de quelques décennies, mais de quelques siècles. »
Sophie Durocher, JdeM, 27 mai : « Récemment, sur mon blogue du Journal, je demandais où étaient les artistes au carré vert, ceux qui n’appuient pas la cause des étudiants. Maintenant je sais où ils sont. Ils se cachent chez eux, ne disent leur opinion que sous le couvert de l’anonymat et sont terrorisés à l’idée que leurs “camarades” découvrent ce qu’ils pensent vraiment. […] Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? Aux pires heures du maccarthysme aux États-Unis, dans les années 50, les artistes du milieu du cinéma soupçonnés de sympathies communistes étaient inscrits sur une liste noire. »
Richard Martineau, JdeM, 2 juin : « L’histoire du gars qui a tué et démembré son ami de coeur devant une caméra vous choque ? Idem pour ce sans-abri drogué qui a dévoré le visage d’un autre itinérant ? […] Le délinquant est devenu la figure emblématique de notre époque, dit [l’essayiste Jean-Jacques] Pelletier. Les rebelles, les casseurs, les anarchistes, les têtes brûlées – voilà les gens qui enflamment notre imaginaire. Les gens qui défendent la loi et l’ordre nous apparaissent comme ennuyeux, ternes, comme des rabat-joie qui veulent imposer des limites à nos désirs, à nos rêves… Ça ne vous rappelle pas quelque chose ? »
Benoît Aubin, JdeM, 7 juin : « Mais, généralement, les choses se compliquent quand la gauche franchit la ligne et prend le pouvoir. Les dérapages – majeurs : Staline, Pol Pot, Mao – ou mineurs : Mitterrand, NPD de Bob Rae en Ontario – deviennent généralement la norme. »
Réjean Tremblay, JdeM, 7 juin : « On perd tous. Parce que le modèle qui a inspiré des générations de communistes et d’anarchistes n’existe plus. L’Union soviétique a été démembrée. L’Allemagne de l’Est aussi. Même la Chine est devenue un capitalisme d’État. En fait, il reste Cuba, dirigé par des vieillards, et la Corée du Nord. Vous pouvez taper vos casseroles tant que vous voudrez, mais est-ce que vous voulez vraiment vivre en Corée du Nord ? »
Joseph Facal, JdeM, 10 juin : « Ma cellule était glaciale et insonorisée. C’était la dernière nuit de ma vie. On allait m’exécuter au petit matin. J’entendis un bruit métallique. La porte s’ouvrit. Mon gardien me fit signe que j’avais un visiteur spécial. Soudainement, il était là, devant moi : Amir Khadir, Leader suprême et Guide éternel de la République populaire du Kébékistan. »
Richard Martineau, JdeM, 11 juin : « Mon confrère Joseph Facal a écrit une chronique hilarante sur Amir Khadir, hier. Elle lui a valu une volée d’injures, d’insultes et de menaces. Comparer Jean Charest à Hitler, c’est super drôle. Mais dépeindre Khadir comme un dictateur communiste est un gag fasciste qui mérite une “correction”. Vive la liberté d’expression… »
Richard Martineau, JdeM, 13 juin : « Le pire est que ces actes répugnants et inacceptables sont commis par des militants qui ne cessent de crier au fascisme. Vous ne vous rendez pas compte que c’est vous, les fascistes ? »
Mathieu Bock-Côté, JdeM, 13 juin : « Traiter quelqu’un de fasciste, c’est l’accuser d’être un monstre sur qui on peut cracher. Cela permet de verser dans la haine idéologique en se croyant au même moment irréprochablement vertueux. Comment résister ? Ne sous-estimons pas la satisfaction morale que cela donne. Se battre contre un monstre, cela suffit à grandir le dissident par simple effet de contraste. Si vous luttez contre un nazi, vous passez d’un coup dans le camp des bienfaiteurs de l’humanité… »
Source: Le Devoir 18/06/12
BLx